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n’examine pas pour le moment si les individus sont meilleurs, question délicate qui prête à contestation ; mais ce qui est certain, c’est que la société est meilleure et plus pénétrée de l’esprit du christianisme. Les droits de tous sont mieux connus et respectés, le faible est plus défendu contre le fort, le travail plus libre, la propriété plus assurée, la justice plus égale, la paix plus durable. Qu’il y ait encore beaucoup à dire sur tous ces points, je ne le nie pas ; l’ancienne barbarie ne cède pas la place sans combat. Somme toute, le progrès est évident. La condition du plus grand nombre y gagne nécessairement, et les chances de misère deviennent plus rares. Si le siècle se vante trop de ces avantages, il est bon de les ramener à leur juste valeur ; mais il ne faut pas non plus les nier absolument. C’est le cas de lui dire ce que Pascal disait à l’homme : Si tu t’élèves, je t’abaisse ; si tu t’abaisses, je t’élève.

M. Périn devient particulièrement injuste quand il parle de l’Angleterre. Il trace le plus effrayant tableau de l’état des classes laborieuses dans ce pays. Les documens dont il s’appuie sont pour la plupart anglais, et on peut croire qu’il n’y a rien à répondre à des témoignages oculaires. Il existe cependant d’autres témoignages, tout aussi authentiques, qui disent exactement le contraire. C’est que, dans le premier cas, on constate des exceptions, et que, dans le second, on s’en tient à la règle. Il suffit de passer huit jours en Angleterre pour voir par ses propres yeux combien l’aisance est générale parmi les classes ouvrières ; on peut toujours, si l’on veut, en pénétrant dans les quartiers les plus pauvres des grandes cités, s’y donner le spectacle d’une misère d’autant plus repoussante que l’humidité sombre du climat ajoute à son horreur ; mais là même la lumière entre peu à peu, et ces derniers repaires se circonscrivent de plus en plus. Les publications dont M. Périn reproduit de si douloureux extraits servent, par leur exagération même, à la guérison des maux qu’elles signalent ; on n’a pas en Angleterre l’habitude de cacher ses plaies, on les montre au grand jour ; quelquefois même on les simule, pour mieux exciter la compassion.

Il suffit de deux ou trois faits généraux pour réduire à leur juste valeur ces accusations. Le premier est le progrès extraordinaire de la population. Si les classes ouvrières vivaient dans le dénûment et la corruption, le flot de la population anglaise ne pourrait pas monter avec cette rapidité ; la mortalité qui suit le vice et la misère l’arrêterait infailliblement. La seconde preuve est plus démonstrative encore, s’il est possible : c’est la quantité proportionnelle des consommations que révèle la statistique. Il est parfaitement avéré que la nation anglaise consomme par tête beaucoup plus de viande, de bière, de sucre, de thé, de laine, de coton, qu’aucune autre, et d’où