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peut provenir cet excédant de consommation, si ce n’est du plus grand nombre ? Enfin on n’a qu’à consulter les recettes des caisses d’épargne et des innombrables sociétés mutuelles que renferme l’Angleterre pour voir qu’elles s’élèvent à des sommes bien autrement énormes que dans aucun pays du continent. Un peuple qui fait un pareil usage de l’épargne n’est ni si misérable ni si corrompu.

La pauvreté déclarée ne reçoit nulle part autant de secours. Est-il besoin de citer la taxe des pauvres, cet impôt si lourd, qui prélève sur les revenus des classes aisées 150 millions par an ? Et qui ne sait qu’en sus de cette taxe légale, une foule de fondations libres, supported by voluntary contributions, s’ouvrent de toutes parts aux malheureux ? On a fait la liste des charités volontaires de la seule ville de Londres : le total en est gigantesque. Je sais bien que ces efforts mêmes sont présentés comme une preuve de l’intensité du mal ; que dirait-on, s’ils n’existaient pas ? M. Périn fait remarquer que la condition des pauvres est meilleure dans les contrées méridionales de l’Europe ; il faut ajouter seulement que cette différence ne tient pas aux hommes, mais au climat. Un indigent à Naples n’a pas besoin d’abri, il n’a presque pas besoin de vêtement ; une nourriture extrêmement frugale lui suffit. En Angleterre, il faut une maison bien close, un feu de charbon, des vêtemens chauds, des alimens fortifians. L’entretien d’une famille y coûte quatre ou cinq fois plus qu’à Naples, et pour peu qu’une de ces nécessités ne soit pas satisfaite, la souffrance est beaucoup plus vive. Le soleil console de tout ; il pare les haillons et inspire la gaité ; sous un ciel obscur, pluvieux et froid, l’indigent ne peut s’étourdir que par l’exaltation mortelle du gin, et l’énergie du caractère national se tourne en morne désespoir.

À ces conséquences du climat, il faut en joindre d’autres qui résultent de circonstances économiques. Par la surabondance de sa population, dont les besoins dépassent de beaucoup la production agricole de son sol, si riche qu’elle soit, l’Angleterre est sans cesse exposée à un déficit de subsistances. D’un autre côté, les crises industrielles et commerciales y sévissent plus qu’ailleurs, parce que l’industrie et le commerce y ont pris plus de développement. Ce ne sont pas là des faits moraux, mais des faits matériels ; il ne faut pas attribuer aux uns ce qui s’explique par les autres. C’est au contraire par la force morale que la nation anglaise tient tête à ces dangers et finit par en triompher. Il n’y a pas de plus grand exemple que celui qu’elle donne en ce moment. On sait quelle terrible détresse la crise américaine a amenée dans les populations qui travaillent le coton ; le comté de Lancastre en particulier, qui renferme plus de deux millions d’âmes, a vu disparaître subitement l’aliment