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maison de son aïeul, le 26 février 1671. Lord Shaftesbury dirigea lui-même son éducation. Il l’éleva, suivant les idées de Montaigne, qui s’éloignaient peu de celles de Locke, et mit près de lui, des ses tendres années, la fille du maître d’une école, mistress Birch, qui lui parlait couramment grec et latin, en sorte qu’à onze ans il lisait également les deux langues. C’est peut-être pour lui que son aïeul, qui, en écrivant à Locke, parle de son petit-fils quelquefois, pria le philosophe alors voyageant en France de s’informer des livres dans lesquels le dauphin avait commencé le latin, et c’est probablement pour le satisfaire que Locke rapporta un mémoire complet sur la méthode suivie dans l’éducation des enfans de France. C’était chercher bien loin comment il faut apprendre le rudiment aux héritiers présomptifs.

En 1683, l’enfant fut placé par son père à l’école de Winchester, qui n’a encore, comme établissement d’instruction secondaire, que trois ou quatre rivales dans toute l’Angleterre[1]. À cette époque, lord Shaftesbury avait été déjà forcé de chercher un asile en Hollande pour échapper au sort qui menaçait les Russell et les Sydney : peut-être même était-il déjà mort à Amsterdam le 21 janvier 1683 ; mais tel était l’esprit de parti qui envenimait tout en Angleterre que les écoliers eux-mêmes ne pouvaient s’en préserver. Le petit-fils d’un proscrit reçut un mauvais accueil dans le collège. Le chef seul de l’établissement, le docteur Barris, et un ou deux élèves lui témoignèrent de la bienveillance : l’un d’eux, qui fut sir John Cropley, resta son intime ami ; mais l’insolence de ses camarades, qui outragèrent devant lui son grand-père, l’obligea de quitter l’école, et, trois ans après, il voyageait sur le continent, accompagné par un écossais, Daniel Denoune, qui méritait toute la confiance de sa famille. Le jeune lord Ashley resta assez longtemps en Italie, jouissant d’un climat favorable à la délicatesse de ses organes ; il y prit le goût des arts et en rapporta, avec une instruction rare de son temps dans son pays, la connaissance parfaite de la langue française, qu’il parlait sans accent.

Il ne revint en Angleterre qu’après la révolution (1689), mais il refusa d’entrer au parlement, voulant se mûrir pour les affaires par des études d’un autre genre que celles qui l’avaient occupé jusque-là. Ce n’est pas que, retrouvant Locke, l’ancien ami de sa famille, le guide promis à sa jeunesse, il ne reprît quelque habitude de l’entretenir de questions purement spéculatives. Il n’avait pas été, quoiqu’on l’ait dit souvent, élevé sous la direction de Locke ; mais ce dernier avait infailliblement remarqué son esprit, sans le goûter peut-être, et Ashley a dix-huit ans recherchait avec lui les conversations

  1. Eton, Harrow, Rugby, Westminster.