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neuf mois d’une manière assez embarrassée. Enfin, entre deux accès d’asthme, profitant d’un vent favorable, il revint à Chelsea pour tâcher de faire expliquer le vieux lord. Il fut reçu par lui avec toute sorte d’empressement ; mais, quand il aborda le sujet délicat, il vit la contrainte et l’embarras succéder à la prévenance, et le désir d’éviter cette conversation était si clair, qu’il se le tint pour dit, et ne songea plus à la recommencer. En racontant sa déconvenue à Molesworth, qui avait en vain plaidé sa cause, il ne cache pas qu’il regrette vivement Une personne qu’il choisissait pour elle-même, et craint surtout d’être soupçonné d’avoir été trop touché du rang et de la fortune. Il a peur de n’avoir pas réussi à persuader au père qu’il prendrait sa fille, s’il le fallait, sans un farthing. Son désespoir n’est pas tel cependant qu’il ne dise dans la même lettre[1] qu’il aura soin de prouver son désintéressement en épousant une femme pauvre, et, pour éviter tout chagrin de cœur, sans l’avoir vue.

« Si le mariage, dit-il dans la lettre suivante, peut s’arranger avec les circonstances de ma vie, je suis tout prêt à m’y engager. Je ferai nécessairement de mon mieux pour le rendre agréable à ceux avec qui se contractera l’engagement, et mon choix, je le comprends, doit pour cette raison être tel. que vous l’avez prescrit. Il faut me résoudre à sacrifier d’autres avantages pour obtenir ce qui est le principal et l’essentiel dans mon cas. Que diront les autres d’une pareille union ? Je ne sais, ni quel motif ils supposeront dès que l’intérêt est mis de côté. L’amour, j’en ai peur, ne pourra guère être un prétexte tolérable quand il s’agit de moi, et pour les idées de famille, j’ai un frère vivant et qui peut donner encore des espérances[2]. Quelle faiblesse donc me trouverait-on, si je me mariais avec peu ou point de fortune, ni dans le plus haut degré de la qualité, ni autrement ? Suffira-t-il que je prenne une faiseuse d’enfans dans une bonne famille, avec une éducation convenable, propre uniquement à faire une femme, et sans autres avantages que la simple innocence, la modestie et les qualités communes d’une bonne mère et d’une bonne nourrice ? C’est là aussi peu le goût moderne que cette femme à la vieille mode dont parle Horace :

Sabina qualis, aut perusta solibuq
Pernicia uxor Appuli.


Pouvez-vous, vous ou mes autres amis, qui me pressez de le faire, me soutenir en cela ? Voyez si, avec toutes les idées de vertu que vous plus que personne avez contribué à propager dans ce siècle, il sera possible de faire passer une telle affaire pour tolérable aux yeux du monde. L’expérience en sera faite pourtant, si je vis jusqu’à la fin de cet été, et vous

  1. Du 15 juin 1709.
  2. Maurice Ashley, qui fut membre du parlement, traduisit la Cyropédie de Xénophon, et mourut sans postérité.