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Une observation qui lui sert de point de départ, c’est la confusion établie dans beaucoup d’esprits entre la religion et la vertu. La religion n’est ni partout ni toujours la même, et une même religion varie avec les passions des partis et les dissidences des sectes. Cette instabilité des dogmes controversés ne touche en rien au prix, à la puissance, à l’inviolabilité des idées morales. Même dans la pratique de la vie, on est obligé de distinguer l’honnête homme de l’homme religieux. Shaftesbury en conclut que la religion ne comprend pas nécessairement la vertu, et que l’on peut mettre en question que l’honnêteté fût impossible à un athée. En tout cas, il a pensé qu’on pouvait essayer de déterminer la part de la religion et la part de la morale. Cette première vue, malgré l’élévation de ses principes et les saines notions qu’il exprime touchant la Divinité, a rendu pour toujours sa doctrine suspecte aux personnes religieuses, et l’on est même allé jusqu’à méconnaître le théisme pur qui respire dans toute sa philosophie.

Tout est bien dans le monde, ou quelque chose s’y rencontre qui pourrait être mieux. Dans le premier cas, il n’existe point de mal réel ; dans le second, le mal existant vient d’un dessein ou du hasard. Le dessein supposerait que l’ordonnateur a manqué de bonne volonté ; le hasard, qu’il n’est pas la cause universelle. Le supérieur du monde est ce que les hommes appellent Dieu. S’il n’était pas nécessairement bon, s’il n’était pas unique, ce nom devrait faire place à celui de démon. Croire tout pour le mieux est donc la croyance du parfait théiste. Cependant que de dissidences sur ce point ! Combien s’éloignent de cette confiance absolue en la justice, en la bonté de Dieu, parmi les plus fervens de ceux qui l’adorent

Tout conspire à une fin. Tout ce qui contribue au bien du tout ou des parties est bon. Un être absolument isolé n’aurait aucune bonté. On ne peut donc dire d’aucune chose qu’elle est absolument bonne ou mauvaise, si l’on ne connaît le système entier dans lequel elle est placée. Une créature sensible ne peut être bonne ou mauvaise que par l’affection, le sentiment qui la détermine à l’action. Toute affection qui tend au bien particulier est vicieuse, si elle est incompatible avec le bien général ; mais tout sentiment, même égoïste, n’est pas dans ce cas. Il n’est pas, il ne rend pas nécessairement incapable de tout sentiment généreux. Toutefois le bien que l’on fait à la société ne devient mérite qu’à raison du motif. La vertu est dans-la volonté du bien général. Autrement on ne parlerait de la bonté d’un homme que comme on parle de la bonté d’un cheval.

C’est d’après ces idées que doivent être déterminées les conditions du bien moral. Si l’homme n’était qu’une créature sensible, le bon ou le mauvais résiderait tout entier dans l’accord ou le désaccord de ses affections avec le bien de l’ensemble ; mais l’homme