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ou bien exécuter une simple manœuvre diplomatique avec l’arrière-pensée d’intervenir ultérieurement dans la querelle au profit de l’un des antagonistes. Si les choses doivent se passer ainsi quand on prête ses bons offices à la demande de l’un des belligérans, on doit convenir qu’il est impossible qu’elles se passent autrement quand une ou plusieurs puissances viennent, par un mouvement spontané, exécuter entre des combattans le tableau des Sabines. Il paraît raisonnablement difficile de demander à des belligérans d’accepter une trêve de six mois, si du même coup on n’a pas à leur présenter l’ébauche de la paix qui doit les faire tomber dans les bras l’un de l’autre.

Rien malheureusement n’indique dans la dépêche de M. Drouyn de Lhuys qu’aucune de ces conditions ait été remplie. Il est certain que jusqu’à ce moment le gouvernement des États-Unis ne s’est adressé à aucun cabinet européen pour obtenir par un concours étranger la pacification de la république. Tout donne à croire au contraire que, si ce gouvernement se sentait un jour vaincu par une nécessité suprême, les successeurs de Monroë ne chercheraient pas hors d’Amérique leurs moyens de salut, et, plutôt que de recourir à l’intervention de l’Europe, conserveraient encore dans leur défaite assez de patriotisme et d’orgueil pour s’entendre directement avec des Américains qui étaient hier leurs concitoyens. Le sud, à la vérité, a eu moins de scrupules ; il avait espéré que le coton enchaînerait à son alliance les peuples industriels de notre continent, et il n’a point hésité, l’alerte du Trent ne nous permet pas de l’oublier, à solliciter l’appui de l’Angleterre et de la France. Lorsque la noble Amérique de Washington entreprit sa guerre d’émancipation, ce fut Franklin qu’elle nous envoya, et l’on se souvient de l’accueil que lui fit la généreuse société du XVIIIe siècle, dont son originale figure est demeurée inséparable. Franklin était le député d’un peuple à un peuple, d’un peuple qui naissait à un peuple qui allait renaître dans une révolution terrible et grandiose. Le Franklin de l’insurrection esclavagiste, M. Slidell, malgré son mérite personnel et la courtoisie sociale qu’il avait droit de rencontrer parmi nous, n’a pu, grâce à Dieu, faire agréer ses lettres de créance dans le monde parisien de ce temps-ci. Cette électrique sympathie dont la France, dans ses bons instincts, entoure chez elle les représentans militans ou malheureux des causes auxquelles s’attachent les grandes idées de libéralisme et de nationalité, cette sympathie lui a fait défaut. S’il s’est adressé à notre gouvernement, s’il a été plus heureux dans les régions officielles, nous l’ignorons, car sa mission, qui n’a pas excité la curiosité du public, est demeurée aussi mystérieuse que celle d’un diplomate ordinaire. Quoi qu’il en soit, si c’était lui qui eût demandé eh faveur de ses commettans un armistice de six mois, et qui leur eût gagné le patronage de notre gouvernement, nous n’aurions aucune raison de croire qu’il eût joint à cette demande l’offre du rétablissement de l’Union, pas même sur la base d’un compromis qui permettrait l’extension de l’esclavage dans les territoires.