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Alors comment s’expliquer l’objet de la démarche dont notre gouvernement a voulu prendre l’initiative ? Aucune base de conciliation ne nous a été fournie par l’un ou l’autre antagoniste. Avons-nous conçu nous-mêmes un plan de paix que nous voulions leur soumettre et leur recommander ? Pas davantage. La dépêche le dit expressément : « Ces ouvertures, je n’ai pas besoin de vous le dire, monsieur, n’impliqueraient de notre part aucun jugement sur l’origine ou l’issue du différend, ni aucune pression sur les négociations qui s’engageraient. » Nous proposons donc un armistice en dehors de toutes conditions qui peuvent rendre une trêve acceptable. Notre démarche ne s’explique pas davantage au point de vue de la seule chance qui eût pu l’autoriser, la probabilité du rétablissement de la paix. Elle prend pourtant une signification grave quand on tient compte de ces deux choses : l’armistice blesserait grièvement les intérêts des États-Unis, et favoriserait ceux de la sécession ; si l’adhésion de l’Angleterre nous eût permis de donner un effet pratique à notre proposition, c’est au gouvernement des États-Unis que nous eussions dû la porter d’abord, et comme ce gouvernement eût été dans l’impuissance de l’accepter, c’est sur lui que nous eussions fait infailliblement retomber, aux yeux d’une superficielle opinion publique, la responsabilité d’un refus et de la continuation de la guerre. Malgré l’habile modération du langage de M. Drouyn de Lhuys, la politique de la dépêche du 30 octobre devait avoir pour résultat infaillible de créer gratuitement au cabinet de Washington un grand embarras en le mettant en contradiction avec les trois puissances maritimes, et par cela même, quoi qu’on fasse et quoi qu’on dise, que l’on s’en soit ou non rendu compte, cette politique était dans son principe même entachée de partialité assez malveillante contre la cause des États-Unis.

Que l’armistice soit contraire aux intérêts du gouvernement des États-Unis, l’instinct général l’a tout de suite proclamé aussi bien en Angleterre, où l’on est si universellement hostile aux Américains du Nord, qu’en France, où la cause de l’Union devrait si justement être populaire. Le ministre français va trop loin, personne ne le contestera, quand il affirme qu’il s’est établi des l’origine entre les belligérans une pondération de forces qui s’est maintenue jusqu’à présent. On aurait raison en une certaine mesure, si l’on disait que l’équilibre s’est maintenu dans le sort des batailles, et pourtant, quoique les hommes du sud aient compensé par une plus ancienne organisation et par leurs aptitudes militaires les désavantages sous lesquels ils sont placés à tant d’autres égards, il serait inexact.de dire que, depuis l’origine de la guerre, le résultat des opérations n’ait très positivement tourné contre eux. L’armée fédérale s’est emparée de quelques unes des positions les plus fortes de leur territoire. L’Union est maîtresse du cours et de l’embouchure du Mississipi, de la Louisiane, de la Nouvelle-Orléans. L’Union s’est rétablie dans la majeure partie des border-states, et ses armées sont encore sur le sol virginien. Si l’on avait le droit de croire qu’entre les deux partis la force militaire se pondère, il serait en tout cas impossible d’en dire au-