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tant de leurs ressources respectives. Quels que soient les sacrifices acceptés par le nord, quelle que soit la prodigalité avec laquelle une administration novice a usé de ses nuances, il est notoire qu’au point de vue des ressources il est bien loin encore d’être descendu au degré d’épuisement où le sud est tombé. L’agio qui frappe le papier des états du nord est insignifiant auprès de l’avilissement du papier des états du sud. L’agriculture et l’industrie sont en pleine activité au nord, tandis qu’au sud la production du coton, — les documens récemment publiés par lord Russell en font foi, — a diminué des trois quarts. Les denrées alimentaires, les denrées coloniales, les tissus, manquent au sud. Enfin la plus grande ressource du sud, la machine humaine à l’aide de laquelle il subsiste et qui lui permet de porter dans les camps toute sa population libre, l’esclavage, tend notoirement à se transformer par la force des choses en un état transitoire de servage ou de prolétariat. On a beaucoup reproché au nord, qui vit du travail libre, de former ses armées de mercenaires ; le sud avait jusqu’à présent vécu du travail esclave, laissant à ses nègres, tandis qu’il se battait, la tâche de le nourrir et de lui fournir les moyens de soutenir la guerre. Dès à présent, le nègre tend à devenir le mercenaire du travail, c’est-à-dire à prendre plus largement sa part dans le produit de son labeur. C’est un phénomène de transformation sociale qui, si on le laisse se développer, amènera progressivement l’émancipation sans ce cortège de massacres et de guerres serviles dont l’imagination effrayée de l’Europe croyait le voir accompagné. Mais à mesure que s’étend cette émancipation naturelle, les ressources des propriétaires du sud et des armées de la sécession devront aller en diminuant. Or quelle est la cause de la supériorité si réelle que le nord a conservée sur le sud en fait de ressources ? Le nord est maître de la mer ; la plus grande force des États-Unis, la marine est demeurée à l’Union, et depuis dix-huit mois, d’après le témoignage de tous les hommes de mer, la puissance maritime des États-Unis s’est révélée avec une rapidité et une ampleur qui tiennent du prodige ; en un mot, le nord bloque le sud. Eh bien ! si l’on va proposer au nord, suivant les termes de la dépêche, « une suspension d’armes de six mois, pendant laquelle tout acte de guerre, direct ou indirect, devrait provisoirement cesser sur mer comme sur terre, » que lui demande-t-on en réalité ? On exige de lui qu’il renonce au blocus, qu’il accorde au sud, haletant et affamé, six mois de ravitaillement, qu’il se dépouille de son ascendant incontestable et incontesté, qu’il coupe son bras droit, comme dit le Times, et cela bénévolement, gratuitement, sans que la proposition d’une si longue trêve soit accompagnée d’un plan quelconque qui laisse entrevoir la rentrée possible du sud dans l’Union à des conditions honorables. De bonne foi est-ce raisonnable, est-ce juste, est-ce impartial ? Non, ce n’est point impartial, car en même temps que par la proposition d’armistice on demande au nord un sacrifice et une abdication qu’il ne peut s’imposer, comme c’est à lui d’abord que la proposition doit être adressée, c’est à lui que l’on crée l’embarras du refus, c’est sur lui que l’on