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le plus éclatant démenti, comment pourraient-ils conclure une paix qui ne renfermât pas la guerre en germe ? Alors les impossibilités se révéleraient de toutes parts. Comment écarter ce redoutable problème de l’esclavage, premier et fatal grief que la paix laisserait subsister tout entier ? Comment régler à l’amiable cette question des esclaves fugitifs, si remplie de tempêtes ? Comment tracer une frontière politique entre deux régions que ne sépare aucune limite géographique ? Chose remarquable, tandis que de l’est à l’ouest la partie du continent habitée par la race anglo-américaine se divise en plusieurs régions nettement limitées par des chaînes de montagnes ou des fleuves, on chercherait vainement une seule délimitation naturelle dans la direction du nord au sud. Les rangées parallèles des Alleghanys et des Apalaches, les Montagnes-Rocheuses, la Sierra-Nevada de Californie, le Mississipi lui-même, pourraient fort bien servir de frontières à des empires ; mais ce ne sont point les crêtes de ces montagnes ou le cours de ce fleuve qui séparent les confédérations ennemies : des ruisseaux, des rivières qu’on peut passer à gué, des lignes idéales, tracées à l’aide du théodolite à travers les plateaux, les savanes, les montagnes et les fleuves, telles sont les seules frontières qu’un traité de paix puisse assigner aux états libres et aux états à esclaves. Géographiquement, ces deux groupes ne forment qu’un seul et même pays, réservé, semble-t-il, aux mêmes destinées historiques. Grâce au Mississipi, les agriculteurs et les commerçans du far-west ont pour grand port la Nouvelle-Orléans, métropole du sud, tandis que les planteurs des Carolines et de la Géorgie ont pour capitale commerciale New-York, la grande cité du nord. Ainsi, quand même une trêve passagère, vainement baptisée du nom de paix, suspendrait pendant quelque temps les hostilités, la guerre doit fatalement renaître tant que l’unité ne sera pas accomplie. Il faut que l’un des deux principes, l’esclavage ou la liberté, se reconnaisse vaincu ; il faut que les communautés du nord fassent solennellement pénitence de leurs systèmes sur la liberté du travail, et tâchent, à force d’humilité, de rentrer en grâce auprès des planteurs, sinon que la servitude des noirs, désormais flétrie comme une honte nationale, cède partout le pas au travail libre.

Eh bien ! tous les amis de la justice peuvent être remplis de joie, car depuis le commencement de la guerre c’est l’esclavage qui recule. Tandis que ses armées remportaient des victoires sur le champ de bataille de Bull’s Run, lui subissait des défaites qui, nous l’espérons, sont irréparables. Les abords du Capitule sont débarrassés des cabanons dans lesquels on enfermait les nègres esclaves, et désormais les législateurs ne risquent plus d’être troublés dans leurs harangues par les cris des fouettés ; les territoires, ces régions assez vastes pour contenir des millions et des millions d’hommes, ont été déclarés terres libres, et leur peuplement rapide ne profitera plus qu’à la civilisation ; la traite, dont le quartier-général était récemment encore à New-York et qu’une certaine opinion publique tolérait avec complaisance,