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quises dans la sphère de l’histoire, de la théologie, du droit, de la physique, de l’esthétique, voire de la géographie, pour les recréer d’après le verbe du maître, pour les reconstruire d’après les lois absolues d’antinomie, de trichotomie, etc. Grâce à Dieu, on ne manqua donc pas de besogne. Enfouie profondément dans ces carrières, la nation ne se ressentit presque en rien de l’ébranlement général de 1830, et certes ce ne furent pas les ébats frivoles de la Jeune Allemagne qui auraient pu entamer sensiblement le fond sérieux et moral d’un tel peuple.

Il vint néanmoins un temps où le mouvement auquel l’école romantique et la spéculation hégélienne avaient donné l’impulsion dut nécessairement se ralentir et s’épuiser. Au bout de longues années d’efforts et d’études, tout était « approprié, » commenté, expliqué, tout aussi se trouvait pénétré, imbu, transformé par la grande dialectique de l’absolu, et on commençait un peu à tourner sur place. Alors parut un livre étrange, œuvre remarquable à plus d’un titre, œuvre telle que n’en avait pas encore connue l’Allemagne et que l’Allemagne seule cependant pouvait produire. Joignant à une connaissance approfondie de son sujet spécial une science parfaite de toutes les littératures antiques et modernes, unissant à une vaste érudition, que la recherche minutieuse des détails ne rebutait jamais, un esprit généralisateur capable de planer au-dessus de la masse des faits et d’en retrouver les lois et l’ordonnance, scrupuleux et hardi en même temps, à la fois respectueux envers les données établies et ne dédaignant pas cependant les points de vue les plus nouveaux et les plus inattendus, un jeune penseur entreprit d’écrire l’histoire de la littérature allemande depuis les temps les plus reculés jusqu’au moment présent, depuis le chant d’Hildebrand jusqu’à l’école romantique. Il voulait, disait-il, présenter à sa nation le tableau fidèle et animé de sa vie morale et intellectuelle, dresser le bilan de son activité, lui faire le récit de ses victoires et conquêtes dans le monde idéal. L’histoire littéraire de M. George Gervinus est à coup sûr une des productions les plus remarquables et les plus fécondes de ce siècle. Que d’aperçus lumineux, nouveaux, sur l’art et la poésie, sur le génie antique et le génie moderne, sur le moyen âge et les croisades! A côté d’un exposé continu de la littérature allemande dans son vaste développement, que d’éclairs jetés en passant sur les littératures étrangères, sur Homère et Shakspeare, sur Dante, Pétrarque ou Milton, sur les origines du théâtre ou le cycle breton! Ce n’était point cependant ces qualités éminentes qui faisaient la portée et la véritable originalité de l’œuvre, mais bien l’idée dominante qui l’animait de tout en tout et qui en ressortait comme la leçon suprême. C’est le propre aussi bien que l’écueil de tout biographe et de tout historien de trop s’éprendre de son