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se servit alors pour justifier un aussi douloureux sacrifice. — L’Autriche, disaient les patriotes, avait manqué à sa mission, qui était de porter et de faire triompher en Orient la supériorité de l’esprit germanique, d’absorber les élémens hétérogènes comme l’avaient fait « glorieusement » les autres peuples de la Germanie; elle avait failli à sa tâche providentielle et civilisatrice, trahi la confiance des Allemands; il fallait donc la « punir! » — Cette « grande trahison » des Habsbourg devint le thème inépuisable des récriminations; Uhland lui-même, — le tendre et charmant poète que l’Allemagne vient de perdre il y a quelques jours à peine, — tout en demandant à conserver à l’Autriche la couronne des anciens et grands empereurs, convenait cependant aussi de cette criminelle défaillance dans l’œuvre commune et la déplorait de toute la sensibilité de son âme. Plus réservé dans ses expressions, plus circonspect dans ses vues, M. Henri de Gagern tranchait au vif dans le présent sans cependant se fermer l’avenir, ci Je crois à la mission de l’Allemagne, disait-il, et je cesserais de m’enorgueillir de mon titre d’Allemand si toute notre mission se réduisait à élever une constitution derrière laquelle nous n’aurions plus qu’à jouir des douceurs du foyer. L’Allemagne a reçu la mission de civiliser l’Orient, et les peuples du Danube qui n’ont pas encore atteint la conscience d’eux-mêmes doivent être nos satellites dans cette marche continuelle vers le monde oriental. » L’orateur concluait que l’Autriche devait conserver toutes ses forces, qu’elle devait les exercer librement, comme si elle formait une puissance distincte, et qu’ensuite l’union de l’Autriche et de l’empire allemand serait réglée par un traité particulier.

Porté à la tête du ministère de l’empire en remplacement de M. de Schmerling (18 décembre 1848), M. Henri de Gagern se mit en devoir de réaliser le programme ainsi tracé. Après de longs débats de trois mois encore sur la constitution, débats qui ne manquèrent ni d’incidens émouvans, ni d’intermèdes diplomatiques, et pendant lesquels le parti constitutionnel dut faire plus d’une concession regrettable à la démocratie pour obtenir la majorité, la couronne impériale fut décernée à Frédéric-Guillaume IV à titre héréditaire (28 mars 1849). Encore une fois, votée plus tôt et sous une forme moins pompeuse, l’hégémonie prussienne aurait eu des chances notables de succès; mais alors il était beaucoup trop tard. Déjà l’Autriche s’était relevée de ses troubles intérieurs et de ses guerres avec l’Italie : cinq jours avant le vote définitif sur la couronne impériale venait d’avoir lieu la bataille de Novare. Déjà aussi les souverains des états secondaires reprenaient confiance à la vue des triomphes de l’Autriche, et rompaient, quoique bien timidement encore, avec la résignation complète à laquelle ils s’étaient condamnés depuis un an. Le vent soufflait à la réaction : l’élection du 2 décembre avait fait