Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/563

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la conflagration. On a fait grand brait de la proclamation que publia alors le comité révolutionnaire européen de Londres (MM. Ledru-Rollin, Mazzini, etc.) pour engager la « démocratie » à profiter des événemens qui se préparaient en Allemagne. Ce qu’on n’apprit que beaucoup plus tard, ce fut la curieuse divergence de vues et d’impulsion qui exista alors en France entre le grand parti de l’ordre et le chef du pouvoir exécutif par rapport à ce conflit austro-prussien. Ainsi, tandis que l’assemblée nationale s’y prononçait très catégoriquement pour la neutralité[1] et que le ministre des affaires étrangères inclinait même vers l’Autriche dans un sentiment de conservation, le président de la république envoyait à Berlin un confident intime qui avait la mission d’engager le roi de Prusse autant que possible à la guerre. La guerre parut en effet inévitable; déjà les troupes étaient échelonnées des deux parts, déjà même une rencontre d’avant-postes avait eu lieu, et, comme on le dit alors, un shako était resté sur le champ de bataille de Bronzell. Tout à coup et devant un ultimatum menaçant du prince Schwarzenberg, M. de Manteuffel lui fit proposer de se rendre à une entrevue à Oderberg, sur la frontière des deux états; quelques heures même après avoir expédié cette proposition, il lui fit savoir par le télégraphe que, sur les ordres positifs du roi de Prusse, il irait jusqu’à Olmütz sans attendre sa réponse. Le ministre prussien s’y rendit en effet et signa là (29 novembre 1850) avec le terrible adversaire des préliminaires de paix, des «ponctuations» par lesquelles la Prusse s’engageait à coopérer avec l’Autriche... à la restauration de l’électeur et à étouffer également dans le Holstein une cause qu’elle avait embrassée avec la même ardeur que celle du peuple hessois ! A la nouvelle d’une si profonde humiliation, — précédée d’une démarche de détresse inouïe dans les fastes de la diplomatie et suivie bientôt après d’une dépêche circulaire qu’une indiscrétion calculée livra au public, et où le prince Schwarzenberg ne se refusa pas le plaisir de présenter les faits dans leur « vraie lumière[2], » — l’Allemagne libérale frémit de douleur et d’indignation; les chambres prussiennes exprimèrent avec véhémence les griefs du pays, et M. de Vincke termina un discours célèbre par les mots : « A bas le ministère! » Le pacificateur d’Olmütz essaya de justifier sa conduite devant la représentation nationale; il affirma aimer mieux être placé « en face des balles coniques que des discours pointus » (spitzen kugeln als spitzen reden), et

  1. Rapport de M. de Rémusat sur la question de la levée de 40,000 hommes destinés à renforcer les garnisons des départemens de l’est et du nord. (Moniteur, 1er décembre 1850.)
  2. La dépêche circulaire, après avoir raconté l’incident du télégraphe, ajoutait : « Sa majesté l’empereur crut de son devoir d’obtempérer au désir du roi de Prusse, si modestement exprimé. »