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Après cela, il faut convenir que ces lois d’attributions sont admirablement conçues, des monumens achevés, des objets d’art en leur genre. Il y a plaisir à errer parmi ces classifications ingénieuses, ces énumérations finies, qui excellent à tout diviser et à tout assujettir : on dirait le roman de la liberté locale. C’est dans ce sentiment, il faut le croire, que chacun les regarde et que personne n’y touche. Telles on les propose, telles on les adopte. Le véridique, l’incorruptible Moniteur, un recueil admirable où l’on trouve tout ce que l’on cherche, qu’on se lasserait de feuilleter plutôt que d’honorer, constate ici deux choses significatives : le petit nombre des votans, le chiffre énorme des majorités ; — ce qui veut dire indifférence et acquiescement général, à tel point que l’une de ces lois fut adoptée par 248 voix contre 7 ! Que voulez-vous ? on applique quelquefois aux plus grands sujets le dédain fameux de M. de Talleyrand lors de la spoliation du Musée en 1815 : « Ce n’est pas une affaire, » disait-il, quand certaines apparitions du Corrége et de Raphaël, évoquées par la victoire, nous quittaient à jamais.

Établie en France par le fait de tous les pouvoirs et de l’aveu de tous les partis, telle nous apparaît la centralisation ; j’ajoute qu’ils l’ont confirmée en mainte occurrence. Çà et là en effet des mesures fort graves sont proposées, tantôt pour les écoles primaires, tantôt pour les chemins vicinaux, lesquelles remettent en présence, en question, les pouvoirs locaux et le pouvoir central. Or la question est toujours résolue contre les pouvoirs locaux, auxquels la mesure, c’est-à-dire la dépense, est imposée. On désespère qu’ils comprennent le bien public, ou même leur propre avantage le plus quotidien, le plus palpable, qui est au prix de quelques centimes additionnels. Tel est le jugement du pays sur lui-même, jugement unanime, je le répète, porté par ses gouvernans et par ses représentans, par les oppositions et par les majorités.

Ainsi le monde parlementaire l’a rencontrée cent fois, cette grande question, comme vous dites, des pouvoirs locaux, et il ne l’a pas reconnue, et comme il avait trouvé ces pouvoirs, il les a laissés. Ont-ils plus de succès auprès des révolutions ? Pas le moins du monde. Les révolutions n’ont rien d’insolite parmi nous. À certaines heures, tout s’abîme, gouvernemens, monarques, dynasties : la société craque sensiblement ;… mais qu’importe à la centralisation tout ce cataclysme ? Rien ne monte jusqu’à elle de ce qui ébranle toutes choses : elle ne bouge pas plus que le sol et que la langue, on dirait la France même. Nous avons vu, il n’y a pas bien longtemps, une de ces révolutions, qui n’était ni la première ni peut-être, au dire de certains, la plus indispensable. Comme on se demanda alors ce que valaient la famille et la propriété, on pouvait bien regarder au fait des communes, à l’organisation respective des