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protestans comme places de sûreté : les protestans y étaient chez eux, absolument chez eux. Telle n’est pas la Grande-Bretagne, où l’individu puise en lui-même sa passion, et ne ressent ni n’exerce les influences locales, ainsi qu’on le voit dans cette histoire des révolutions britanniques.

En résumé, les pouvoirs locaux ne paraissent pas même dans les révolutions où la France s’est affranchie. Ils existaient si peu! direz-vous. Soit, mais en Angleterre, où ils étaient vivaces et fortement constitués, la liberté se fit sans eux; en Allemagne, où ils sont debout, la liberté est loin d’être acquise partout. Cette considération de l’Allemagne, qui, pour avoir été le pays du monde le plus morcelé politiquement, n’en est pas le plus libre, nous conduit à une réflexion plus générale. S’il appartenait aux pouvoirs locaux de créer la liberté des nations, comme ils étaient partout au moyen âge sous le nom de bonnes villes et de seigneuries, est-ce qu’ils n’auraient pas fait de l’Europe une terre aussi libre aujourd’hui qu’elle était communale et féodale autrefois, c’est-à-dire fragmentée et gouvernée en mille miettes? Ces pouvoirs ont disparu parce qu’ils ne pouvaient faire ni nation ni liberté, perdus qu’ils étaient d’égoïsme. Ils ont fait place à de grandes monarchies administratives qui, abolissant le droit des castes, impliquaient et préparaient l’avènement du droit national. C’est par ce détour que la liberté nous est venue : solution qui semblait acquise le jour où l’on a pu se demander, sur la ruine des castes, si le monarque allait hériter de tout leur pouvoir, c’est-à-dire si la nation allait appartenir à un homme.


III.

Donc on a lu l’histoire avec une fantaisie bien arrêtée, si l’on y a vu que la liberté publique se produit ou se défend avec la liberté locale, et qu’il suffit d’instituer de fortes communes pour fonder une nation sur elle-même, une nation qui s’appartienne à jamais. Ces une des illusions qui abondent en ce sujet; mais l’illusion entre toutes est de croire que des hommes vont réussir au gouvernement de l’état, parce qu’ils excellent à se gouverner, eux et le coin de territoire, eux et le groupe de voisins auquel ils appartiennent. Ici la commune nous est présentée sous un nouvel aspect, non plus comme un rempart de liberté, mais comme une école de gouvernement : les partisans des pouvoirs locaux affirment simplement que, sans un apprentissage politique ouvert dans les communes, un pays n’aura jamais pour le conduire l’élite voulue de grands cœurs et de hautes intelligences.

Or les communes n’ont pas plus l’esprit de gouvernement que l’esprit de liberté. Elles ne sauraient produire la moindre parcelle