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des vertus, des aptitudes, des vices même qui font l’homme d’état et le législateur. Il n’y a rien, absolument rien dans ces limites pour préparer les hommes à l’exercice de la souveraineté, ni le fond, ni les proportions des choses, ni les sentimens et les procédés qu’on y porte. Ce n’est pas seulement que tout soit petit dans les choses locales, comparé à la chose publique ; tout y est autre : par où la commune, même souveraine, ne peut être une école de gouvernement. On n’enseigne que ce que l’on sait : il n’y a pas d’images, pas d’analogie qui puissent prévaloir sur cette évidence.

Je sais ce que vous allez me dire : « Quand on a fait les premiers pas dans une carrière, le reste va de soi… Qui possède les élémens d’une langue doit un jour, l’exemple aidant, la posséder à fond… D’une théorie que l’on sait, les petites applications mènent aux grandes… » Tout cela est vrai, mais tout cela n’a rien de commun avec le fait d’un personnage local érigé tout à coup, par le choix de ses concitoyens, en personnage politique. Ce n’est pas même un parvenu, car il n’a pas entrevu la théorie, il n’a pas épelé la langue, il n’était pas à l’entrée de la carrière qui l’attendent à cette hauteur où son mandat vient de l’élever. Avec ce qu’il ignore et surtout avec ce qu’il sait, il apparaîtra comme un étranger dans les conseils du pays ou du pouvoir exécutif. Ce n’est point là vraiment passer du connu à l’inconnu, une aventure dont notre vie est faite, une épreuve que nous traversons à chaque pas : c’est passer du connu à ce qu’on ne peut connaître, c’est-à-dire d’un point de vue borné, où l’on s’est borné soi-même, aux complications et aux éblouissemens du point de vue d’ensemble.

On ne me persuadera jamais que les petites affaires enseignent les grandes : loin de là, elles en rendent leur homme incapable, créant chez lui une habitude de vues et de sentimens à leur image, à leur taille. Parce qu’on a vécu dans la malice des coteries, ce n’est pas une raison pour comprendre la valeur du droit, la puissance de l’opinion, la nécessité des compromis, encore moins les griefs et les fiertés de nation. On verra tout à l’heure quelle est la valeur morale des pouvoirs locaux. En attendant, redisons-le : il n’y a pas le moindre rapport entre les vues qu’il faut pour gouverner l’état et celles qui suffisent à une gestion de commune, pas plus qu’entre l’état et la commune. Songez seulement que nous habitons presque tous (jusqu’à concurrence des quatre cinquièmes) des localités où nous sommes à peine quinze cents. Quel abîme entre ce fragment et la France ! Et l’on voudrait conclure quelque chose de l’un à l’autre ! Encore cet obstacle n’est-il que géographique, statistique, superficiel, le moindre de tous. Au fond, c’est bien pis ; l’âme change d’une sphère à l’autre.

Elle change d’abord en ceci, qu’une commune doit régler ses dé-