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dans ses votes. Tant de droits accumulés sur une nation doivent porter leurs fruits. Au pouvoir politique, vous ajoutez le pouvoir local, et tout cela chez tous ! C’est une grosse somme de souveraineté… Voilà, ce me semble, un peuple tenté de main de maître ! Autant le transporter tout de suite sur une montagne et lui montrer les royaumes de la terre. Au surplus, vous faites mieux, vous les lui livrez. Savez-vous en effet à quoi serviraient des communes émancipées ? À faire l’éducation du suffrage universel, une éducation corruptrice, lui enseignant les profits du pouvoir et l’exploitation de la souveraineté comme d’une métairie.

Il n’est pas d’occasion, pas d’endroit comme une commune pour y sentir distinctement le bien ou le mal que l’autorité peut faire à chacun. Aujourd’hui l’autorité qui gouverne une commune appartient aussi bien au préfet, au ministre et même au corps législatif qu’au conseil municipal. Il suit de là qu’être membre ou chef de ce conseil ne peut être un grand objet d’ambition individuelle et d’agitation électorale. Mais tout va changer, si l’autorité réside tout entière dans ce conseil : chacun désormais fera effort pour la conquérir, pour l’exercer à son profit, avec l’arme dont il dispose, qui est le droit électoral. Or, songez bien que chacun a le même droit d’élection pour le représentant politique que pour le conseiller local. Dès lors tout électeur peut se demander pourquoi il n’userait pas de son droit à l’égard de tous deux, dans le même esprit, avec les mêmes vues, avec les mêmes profits. S’il y a dans la commune un principe sensible d’avantage et de distinction à disposer du gouvernement, que serait-ce donc, si l’on pouvait porter les mains plus haut, à ce sommet où se font les lois, où se manient les forces et les finances du pays ? C’est de là qu’on peut tout attendre, tout se promettre ; c’est là qu’il faut viser et peser. Nous avons raisonné jusqu’à présent dans l’hypothèse d’un gouvernement inepte et mesquin qui naîtrait des communes émancipées : c’est de beaucoup la supposition la plus douce ; ce gouvernement pourrait aussi bien être oppressif et spoliateur par voie de mandat impératif.

Quel serait ce mandat ? Il est aisé de le prévoir, sans calomnie comme sans complaisance. Jamais la France ne chargera ses représentans de décréter la loi agraire, l’abolition des héritages, le droit au travail, le règlement légal des salaires, autant de choses et de noms perdus dans l’estime de tous, que repousse parmi nous l’esprit public, même celui qui court les rues et les champs ; mais en deçà de tout emportement le mandat impératif pourrait fournir encore une carrière brillante et lucrative. Ainsi vous verriez peut-être prévaloir une politique financière avec ce but avoué de faire payer l’impôt aux riches et de le dépenser au profit des pauvres. C’est peu