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à fait tel que ces grands peintres nous l’ont fait. Il est bien encore couvert de forêts, de lacs et de fleuves ; mais les forêts sont exploitées, les fleuves canalisés, les lacs couverts de bateaux à vapeur. S’il n’en est pas pour cela moins poétique qu’autrefois, ce n’est point la faute des Canadiens, dont c’est bien le moindre souci. Ils sont trop bons calculateurs pour s’amuser à ces misères, et ils ont trouvé que leurs forêts, débitées en bois de chauffage et de construction, leur rapporteraient plus en espèces monnayées que toutes ces rêveries sentimentales. Aussi les ont-ils bravement attaquées sans regarder derrière et sans craindre de troubler le Grand-Esprit dans ses sombres retraites. Comme leurs frères du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, dont ils ne sont séparés que par le Saint-Laurent, ils ont fait de leur pays une vaste coupe en exploitation, coupe immense qui s’étend sur quatre cents lieues de long et sur cent lieues de large. Des milliers de lumberers abattent de tous côtés les arbres séculaires, qui s’en vont, flottés de fleuve en fleuve, jusqu’à Québec, où ils sont embarqués et expédiés en Europe. Ce qui s’exporte de cette façon est énorme. D’après une publication récente, émanant du bureau d’agriculture, l’exportation en 1860 s’est élevée à trente millions de pieds cubes de bois équarris et quatre cents millions de pieds carrés de planches, la plus grande partie à la destination de l’Angleterre, Les droits payés au trésor ont produit 500,000 dollars. Des cinquante ou soixante espèces de bois qui se rencontrent au Canada, il n’y en a cependant que cinq ou six qui soient l’objet d’un commerce important ; les autres sont brûlés sur place et convertis en potasse et en goudron.

Dès 1840, le parlement fit exécuter des travaux considérables pour faciliter la navigation du Saint-Laurent et de ses affluens, afin qu’on pût amener les bois, au moyen du flottage, depuis les profondeurs des forêts jusqu’à Québec. On s’occupa ensuite de réglementer le commerce, afin de garantir la bonne foi des transactions ; on institua un corps d’inspecteurs assermentés, ayant fourni un cautionnement, chargés de mesurer et d’examiner les diverses marchandises, et aussi de les marquer de lettres spéciales, suivant leurs qualités[1]. Pour se créer des débouchés, les Canadiens se

  1. Les bois du Canada sont divisés en quatre classes : 1o les bois d’équarrissage, 2o les douves, 3o les mâts, esparts, beauprés, rames, anspects, 4o les madriers, planches, bordages et lattes. Tout inspecteur est tenu de fournir au propriétaire la spécification du bois inspecté, et c’est sur cette spécification que sont basés les droits à payer à la couronne. Les marques apposées sur les pièces sont les suivantes : M pour désigner un bois marchand ayant les qualités et les dimensions requises, V pour les bois de bonne qualité, mais au-dessous des dimensions réglementaires, S pour les bois de deuxième qualité, T pour ceux de troisième, R pour les pièces de rebut.