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courait à sa ruine, si elle ne produisait pas elle-même tous les objets de première nécessité dont elle avait besoin, et si elle était pour quoi que ce soit tributaire de l’étranger (c’était le mot consacré). C’était le temps où, pour avoir du sucre, du café, du coton, on se disputait les colonies capables d’en produire. C’était le beau temps de l’acclimatation, puisque, pour ne pas être au dépourvu, il fallait bien alors chercher à cultiver chez soi les plantes, à y élever les animaux qui jusqu’alors étaient l’apanage des autres nations. Les principes de la liberté commerciale, à peu près universellement acceptés aujourd’hui, ont un peu ébranlé cette doctrine exclusive du chacun chez soi ; ils nous ont appris qu’il y a duperie à fabriquer nous-mêmes ce que d’autres font mieux que nous, et ils nous enseignent que chaque pays, ayant à sa disposition une certaine somme de capitaux et une étendue déterminée de terre cultivable, doit les consacrer à la production qui convient le mieux à son climat, aux aptitudes de ses habitans, et se procurer par l’échange les objets qu’il peut trouver ailleurs à meilleur compte. Quel avantage, je vous prie, aurions-nous à introduire chez nous l’érable à sucre ou l’arbre à caoutchouc, si en fabriquant des meubles ou des tissus nous pouvons nous procurer à moins de frais le caoutchouc et le sucre dont nous avons besoin ? Je ne repousse pas systématiquement l’acclimatation ; je la crois, dans un grand nombre de cas, capable de créer des richesses nouvelles, comme elle l’a fait pour le ver à soie ou la pomme de terre : elle est surtout très désirable quand il s’agit de produits dont le commerce n’est pas encore bien établi, et sur lesquels on ne peut pas compter d’une manière assurée ; mais ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est qu’une telle question touche au moins autant à l’économie politique qu’à l’histoire naturelle, et qu’à ne pas tenir compte de la première on risque de faire beaucoup d’efforts pour arriver à un résultat négatif. Avant de rien entreprendre dans ce genre, il importe donc de connaître exactement les ressources du pays producteur, et c’est là, si je ne me trompe, une des conséquences les plus heureuses qu’on puisse attendre des expositions universelles.

Nous n’avons en Europe qu’un petit nombre d’espèces d’arbres ; mais elles n’en sont pas moins précieuses, et elles ont des exigences culturales assez variées pour nous permettre d’exploiter avantageusement les sols les plus divers et les plus rebelles à toute autre végétation. Avant d’avoir recours à une essence étrangère, étudions-en bien le tempérament, sachons quels services elle peut nous rendre, ne nous décidons à la cultiver sur une grande échelle qu’autant qu’elle aura été réellement reconnue plus utile que celle qu’elle doit remplacer. Si nous n’avons eu qu’à nous féliciter de l’acclimatation