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teur contemple la confusion, les contradictions, les impossibilités de l’Europe actuelle et du monde, soit que, circonscrivant son observation, il s’étudie à diriger une âme dans les voies de l’éducation morale et de la science, soit qu’il se propose d’extraire l’esprit vivant, la substance féconde de l’Evangile en montrant dans l’idée chrétienne le principe et la garantie de tous les progrès. Les sujets sont différens : la Paix est presque une étude politique sous une forme à demi lyrique; les Sources sont un essai d’analyse morale et intellectuelle; au fond, l’inspiration est la même. L’idée familière de l’auteur, c’est que la réforme du monde, condition supérieure de la paix, ne peut se réaliser que par la régénération individuelle de l’homme, et que cette régénération même de l’individu ne peut s’accomplir que sous l’influence de l’idée chrétienne, d’où découlent toutes les notions de vérité et de justice. C’est l’idée du père Gratry comme de bien d’autres esprits, surtout depuis qu’on a vu ce que pèsent les institutions et les gouvernemens dès qu’un souffle de révolution se lève de quelque côté. Il faut donc préparer cette régénération individuelle par l’éducation intérieure, par l’apprentissage de la vie intellectuelle et morale, et c’est Là, si je ne me trompe, le sens de l’ingénieux essai des Sources.

Il y a un livre sérieux et charmant d’un moraliste espagnol, prêtre lui aussi, c’est l’Art d’arriver au vrai, de Balmès. Nulle œuvre peut-être ne décrit avec plus de finesse, d’animation et de bon sens cette éducation intérieure et les obstacles qu’elle rencontre, et tout ce qui s’élève de passions, de caprices entre l’esprit de l’homme et la vérité. Le livre des Sources est comme un art d’arriver au vrai, et chemin faisant l’auteur laisse assurément échapper plus d’une remarque ingénieuse. Qui de nous n’est quelque peu témoin de ce qu’il y a de trop exact dans ce que dit le père Gratry d’une certaine paresse qu’on a toujours à écrire? « Savez-vous, dit-il, pourquoi des esprits d’ailleurs très préparés restent souvent improductifs et n’écrivent pas? C’est parce qu’ils ne commencent jamais et attendent un élan qui ne vient que de l’œuvre. Ils ignorent cette incontestable vérité que, pour écrire, il faut prendre la plume, et que tant qu’on ne la prend pas, on n’écrit pas.» Cela semble naïf et ne laisse point d’avoir quelque degré d’exactitude et même de finesse. Le père Gratry, qui aime Joubert et qui le cite, qui s’en inspire presque, allais-je dire, quoiqu’il ne lui ressemble pas, a souvent de ces observations fines et justes sur la vie et les méthodes de l’esprit, sur les arts et sur les sciences, sur la manière de féconder l’intelligence en la préservant des dissipations qui l’attirent et l’émoussent, sur la vertu sacrée du recueillement et du silence. Les hommes de notre temps ne connaissent pas cette vertu ; ils aiment le bruit des