Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/686

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

affaires dans le jour, et le soir le bruit des plaisirs. Après la veille affairée ou enflammée, c’est le sommeil lourd ou fébrile, et jamais le vrai moment réparateur. « Le repos est le frère du silence, dit le père Gratry; nous manquons de repos comme de silence. Nous sommes stériles faute de repos plus encore que faute de travail... Je ne connais qu’un seul moyen de vrai repos dont nous ayons quelque peu conservé l’usage, ou plutôt l’abus : c’est la musique. Rien ne porte aussi puissamment au vrai repos que la musique véritable. Le rhythme musical régularise en nous le mouvement, et opère pour l’esprit et le cœur ce qu’opère pour le corps le sommeil... La vraie musique est sœur de la prière comme de la poésie. Son influence recueille, et, en ramenant vers la source, rend aussitôt à l’âme la sève des sentimens, des lumières, des élans... Mais nous, nous avons trouvé le moyen d’ôter presque toujours à la musique son caractère sacré, son sens cordial et intellectuel, pour en faire un exercice d’adresse, un prodige de vélocité et un brillant tapage qui ne repose pas même les nerfs, loin de reposer l’âme. »

Ce petit livre des Sources, qui traite à la fois de l’éducation de l’esprit et de la science du devoir, n’est au surplus en quelques parties qu’un fragment détaché de la Logique, comme un chapitre repris, resserré, condensé, où, sous une forme familière et vive, se retrouve la substance des idées de l’auteur, et, comme tout ce qu’écrit le père Gratry, il a ce cachet de l’homme qui, en exprimant des idées, se peint lui-même : «Pour écrire, dit-il, il ne faut pas seulement sa présence d’esprit, il faut son cœur, il faut l’homme tout entier ; c’est à soi-même qu’il en faut venir. » Et en effet le père Gratry se peint bien lui-même, tel qu’il est, avec sa nature délicate et vibrante, n’ayant rien d’abstrait, avec son ardeur de foi mêlée d’imagination et avec cette spontanéité d’impression d’une âme que tout émeut, qui subit même toutes les variations de l’atmosphère humaine en cherchant Dieu au bout. « Hier, dit-il quelque part, j’ai failli perdre un jour. J’étais malade, le temps était triste et mauvais. Il ne faisait ni assez clair ni assez chaud. Personne n’était auprès de moi. Aucune nouveauté dans la vie, nulle joie sur l’horizon. Forces physiques et force d’âme, idées, sentimens, convictions, tout s’affaissait comme une voile qui retombe sur le mât. Rien dans le ciel de l’âme que fantômes gris et ternes, comme quand les nuages de l’occident, qui tout à l’heure n’étaient que pourpre et or, se décolorent en deux minutes, et, réduits à eux-mêmes, ne sont plus que brouillards. Temps perdu, temps perdu! me disais-je. Et que de temps en effet dans ma vie entière j’ai perdu ainsi! C’est que nous oublions toujours cette fondamentale vérité que, lorsqu’il n’y a plus rien, il y a Dieu!... » Ainsi la recherche de la vérité, pour