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les chemins ni les issues? Tels ils étaient, indécis et tremblans en face l’un de l’autre, cachant sous la banalité des paroles le trouble des sens et l’agitation de l’âme. Cependant la comtesse, tendre et empressée, était la plus brave, tandis que Pierre succombait sous le poids de son bonheur, auquel il n’osait croire encore. En même temps, et avec un secret désespoir, il se sentait atteint de cette faiblesse pleine à la fois de plaisirs et de souffrances qui l’avait déjà envahi. La frêle enveloppe de son corps ne pouvait contenir la vie nouvelle que son amour y versait à flots. Un instant il devint si pâle que la comtesse s’effraya.

— Ce n’est rien, répondit Pierre, ce sont sans doute ces fleurs qui m’auront fait du mal.

Il demanda la permission de se retirer, et la jeune femme le suivit d’un regard inquiet jusqu’à la porte. Le lendemain il revint. Son âme s’était indignée de ces défaillances du corps, auquel elle voulait ordonner de vivre désormais au même degré qu’elle, comme elle lui avait appris naguère à se soumettre et à s’ignorer; mais cette tyrannique volonté de l’âme devait être méconnue. Pierre, moins encore que la veille, réussit à se vaincre. Le simple son de voix de la comtesse, tout imprégné de tendresse à certaines paroles qu’elle lui dit, détermina en lui une subite excitation nerveuse, et ses yeux se mouillèrent de larmes.

— Qu’avez-vous? demanda la comtesse.

— Ah! murmura tout bas Pierre, je ne suis pas habitué à aimer, et l’amour me tue; mais, reprit-il avec une sorte de désespoir, ce n’est point tout, et je n’ignore pas pourquoi je suis ainsi. Si vous saviez, si vous saviez...

— Colonel, dit la comtesse, je me suis bien aperçue que vous aviez un secret que vous n’osiez me confier. Pourquoi cela? Ne suis-je pas votre amie? Racontez-moi votre vie. Je n’en connais que les actes d’héroïsme. Dites-m’en les chagrins et les amertumes. Je vous consolerai.

Pierre alors lui raconta les monotones et studieuses années de sa jeunesse, l’ambition qui l’avait animé, le dessein qu’il avait conçu et exécuté d’annuler le corps afin de donner à l’âme tout son essor. Il l’initia aux progrès divers de cette entreprise qu’il avait tentée sur lui-même, lui dépeignit en traits de feu cette scission de l’esprit et de la matière, puis, se complaisant par le souvenir dans l’orgueilleux triomphe qu’il avait obtenu, lui fit entrevoir ces sereines hauteurs d’où l’âme, inaccessible aux soins terrestres, embrasse et saisit dans leur ensemble les événemens humains et les dirige à son gré, si elle dispose d’une puissance égale à sa volonté. La comtesse l’écoutait avec une curiosité frémissante. Il lui semblait que les phé-