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chemins de fer et ce frappant exemple de l’incorruptibilité de nos mœurs, on a énuméré tout ce que M. Sardou, trop discret sans doute, a trouvé à dire en faveur de la supériorité de notre temps sur les divers régimes auxquels ses ganaches ont eu le tort de rester fidèles : fidélité qui ne peut d’ailleurs être touchante chez de tels personnages, car elle est vraiment mêlée à trop de ridicules. Ah! M. Sardou ne les a pas épargnés; il a fait d’eux bonne justice, il a épuisé sur ces caricatures faites à plaisir tous les traits de son libre génie! Avec quel courage il a raillé l’incurable ennui de Fromentel, qui « n’a plus de gouvernement à démolir, » puisque nous sommes heureusement entrés dans l’ère des gouvernemens impérissables, et le sot puritanisme de Vauclin, qui ose avouer au second acte qu’il préfère le souvenir de Jemmapes et de Fleurus à celui de Wagram! Qui ne sent que les amis de la restauration, du gouvernement de juillet et de la république oppriment aujourd’hui tout le monde? Mais ils ont enfin trouvé un homme de cœur pour leur barrer le passage et pour leur tenir tête, un défenseur des faibles, un vengeur du public, un poète qui peut dire aujourd’hui comme Aristophane en parlant de ses pièces hardies contre Cléon : « Je suis le premier qui ait osé marcher droit au monstre. » Les anciens partis, comme on les appelle, ont enfin rencontré M. Sardou, et ils ne se relèveront pas de ces trois portraits.

Nous craignons fort que M. Sardou n’ait peine à s’en relever lui-même, tant il a dépassé le but par excès de zèle, faisant dégénérer la comédie en parade grossière, et cette scène, que la politique devait relever, en tréteaux. Si cependant il a pris goût aux portraits, si c’est décidément du côté de la comédie politique que l’entraîne un indomptable génie, nous l’exhortons de grand cœur à poursuivre son œuvre. Et puisque, foudroyant d’un seul coup trois époques, il a déjà épuisé les portraits du passé, nous lui conseillons, dans l’intérêt de sa gloire comme dans celui de nos plaisirs, de regarder enfin autour de lui, et de songer un peu au présent. Les portraits ne lui manqueront pas, je le jure, et il n’a pas besoin cette fois d’aller à Quimperlé pour en trouver d’admirables. Un inconcevable hasard les aurait-il jusqu’ici dérobés tous à sa vue? N’a-t-il jamais coudoyé, par exemple, ce personnage gonflé d’importance, qui pendant dix-huit ans de liberté s’est essoufflé sans succès à devenir quelque chose, qui n’avait encore réussi, il y a environ douze ans, qu’à être chevalier de plusieurs ordres et membre de plusieurs sociétés savantes, que la fortune s’est divertie à mettre en un moment au sommet de sa roue, qui s’y cramponne et s’y pavane, qui est aujourd’hui partout, qui se mêle de tout et sert à tout, qui est sûr d’être choisi s’il s’agit de choisir, d’être élu s’il s’agit d’élire, qui joue enfin, faute de mieux, un rôle important dans l’état, et qui