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poursuivis avec persévérance sur ces distances moyennes leur permettront bientôt d’aborder avec succès les distances plus considérables qu’il faut nécessairement franchir pour relier entre elles toutes les contrées civilisées du globe.

Quelques mots résumeront maintenant cet essai d’histoire critique de la télégraphie sous-marine.

En 1851, le début : un câble lourd, grossier, est immergé dans la Manche. Pendant les deux campagnes suivantes, l’Angleterre se rattache au continent par de nombreux fils plongés dans des eaux peu profondes. Les succès sont nombreux, parce que les ingénieurs n’ont rien entrepris qui fût au-dessus de leurs forces.

En 1854 commence, avec la période d’engouement, l’ère des communications véritablement océaniques. Il semble que l’on veuille débuter par l’opération la plus difficile, et sans transition on passe d’un fil de 570 kilomètres dans la Mer-Noire à un immense câble de 3,200 kilomètres à travers l’Atlantique. Autant de tentatives, autant d’échecs, soit immédiats, soit dans un délai très court. Les électriciens et les ingénieurs luttent pendant cinq ans contre des obstacles qui semblent se multiplier devant eux, et arrivent à l’année 1860 avec beaucoup d’expérience, avec des progrès incontestables dans la fabrication et des principes mathématiques contrôlés par la pratique, mais aussi avec des résultats financiers désastreux et une déconsidération complète dans l’opinion publique.

Enfin en 1860, au moment où le public désespérait à jamais des communications lointaines, l’administration française se lance hardiment dans une entreprise nouvelle, et, sans être arrêtée par des sinistres de mer tout à fait fortuits, elle achève avec succès la ligne d’Algérie, point de départ de nouveaux travaux qui, nous l’espérons, ne seront plus arrêtés par l’insuffisance des capitaux ou compromis par l’inexpérience des hommes.

Pour que cette étude des travaux télégraphiques fût instructive, nous avons dû signaler pas à pas les fautes commises par les ingénieurs et souvent même l’omission des principes élémentaires de la science. Loin de nous cependant l’idée d’avoir voulu infliger un blâme aux homm.es énergiques et persévérans qui ont créé la télégraphie océanique. Les difficultés étaient grandes, et nous ne partageons pas l’opinion émise par un publiciste anglais qu’un Brunel ou un Stephenson les eût surmontées du premier coup. Quelques-uns peut-être se sont montrés inférieurs à l’œuvre qu’ils avaient conçue, mais tous y ont prodigué leurs veilles et leurs fatigues, et la plupart peuvent dire : « J’ai partagé mes erreurs avec mes contemporains. » Non est ista mea culpa, sed temporum.


H. BLERZY.