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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




30 novembre 1862.

Tandis que la France, le regard perdu dans les brumes de l’Atlantique, songeait encore à son projet de médiation aux États-Unis, et, — promptement, dextrement, amicalement refusée par l’Angleterre et la Russie, — goûtait du moins une satisfaction solitaire dans le sentiment de son intention généreuse, à quatre pas de nous, au beau milieu de cette mer splendidement enchâssée entre trois continens, et qu’aux momens où nous avons le propos leste nous appelons un lac français, un petit peuple qui rit au soleil dans l’épanouissement d’une révolution toute neuve était en train, par une espièglerie étourdissante, de donner un air de caricature à notre attitude solennelle et distraite : les Grecs, fils d’Ulysse, faisaient éclater la candidature du prince Alfred. Si nos lecteurs étaient aux antipodes, et si c’était à nous qu’il eût été réservé de leur porter une telle nouvelle, que nous eussions eu beau jeu à les mettre au défi de la deviner, à tourmenter leur curiosité, à dépister leur sagacité, à les forcer de donner leur langue aux chiens ! Quelle surprise pour les Anglais ! Se seraient-ils jamais attendus, dans leur superciliousness, à être populaires quelque part, surtout à être populaires en Grèce ? Quel étonnement pour nos doctes et honnêtes amis qui méditent depuis tant d’années sur la question d’Orient, et qui devaient se croire maîtres de toutes les données de ce formidable problème ! Quelle stupéfaction pour cette politique russe si savante et si redoutée ! grand tsar Nicolas, pauvre empereur Croquemitaine ! n’as-tu pas tressailli dans ton sépulcre en entendant Athènes appeler à elle non le Russe, mais l’Anglais ? Une pensée si profondément mûrie, une volonté si persévérante, tant de trésors sacrifiés, la fortune de la guerre si souvent tentée, les succès obtenus, les revers subis, tout cela pour qu’un jour la finesse byzantine fût en mesure de présenter l’appât le plus séduisant et la plus magnifique occasion à l’habileté joviale du vieux lord Palmerston ! Ah ! si la politique avait des Bossuet, quels cris éloquens inspirerait cette évolution des Grecs mise en regard du long effort de la politique moscovite !