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pour passer la nuit. D’autres au contraire, malgré la brise froide et les ténèbres, restèrent obstinément sur le pont, les regards attachés aux rives obscures du fleuve qu’ils ne devaient plus revoir. Je profitai de l’espèce de familiarité qui s’introduit tout de suite à bord de ces sortes de vaisseaux pour interroger les émigrans sur leurs projets, et j’obtins de la plupart d’entre eux les mêmes réponses. « Pourquoi quittez-vous votre pays ? — Il n’y a point de place pour nous dans la vieille Angleterre. — Que comptez-vous faire à la Nouvelle-Zélande ? — Ce que nous pourrons. — Emportez-vous un capital ? — Oui, notre courage et nos bras. » Un petit nombre d’entre eux se vantaient d’être libres, c’était assez dire que les autres ne l’étaient point. Par libres, on entend ceux qui ont payé tout leur passage, tandis que beaucoup, n’ayant donné en partant qu’un faible à-compte, doivent travailler en arrivant jusqu’à ce qu’ils aient payé le reste. Ces derniers se trouvent sous une sorte de servitude, en ce sens qu’ils sont tenus de déclarer le lieu de leur résidence, dont ils ne peuvent s’écarter sans prévenir la compagnie. Il arrive même assez souvent, d’après ce qu’on m’a raconté à bord, qu’au moment où le vaisseau se trouve en pleine mer, on voit sortir d’un tas de cordages ou de toute autre cachette un visage qu’on n’avait point aperçu jusque-là. C’est le plus souvent un jeune homme, quelquefois même une femme, qui a inventé ce stratagème, n’ayant point d’argent pour émigrer. Il est maintenant trop tard pour qu’on songe à renvoyer l’intrus (intruder) ; on est donc obligé de le garder et de le nourrir tout en le faisant travailler pour payer son passage.

Parmi les émigrans se distinguait sur le vaisseau un groupe de chercheurs d’or (gold seekers) qui se rendaient aux mines d’Otago. Ceux-là du moins avaient un but et une destination. Ils se faisaient aisément reconnaître à leur haute stature, à leurs membres vigoureux et à leur air déterminé. Plusieurs d’entre eux étaient d’anciens navies (ouvriers terrassiers), qui emportaient la patrie à la pointe de leur pic, car l’Anglais est chez lui tant qu’il trouve à travailler. À ceux qui leur demandaient : « Que ferez-vous, si vous ne trouvez pas d’or ? » ils répondaient fièrement : « N’y a-t-il point la terre ? » Quelques-uns, en très petit nombre, témoignaient l’intention de revenir dans la Grande-Bretagne quand ils auraient fait fortune. Ce mot semblait étrange dans leur bouche pour qui regardait les rudes vêtemens dont ils étaient couverts. C’est pourtant de ces mains vides au départ, de ces misérables et grossiers enfans du travail, que l’Angleterre attend après tout le précieux métal destiné à accroître le signe de la richesse publique. Plus d’un, parti de même pour l’Australie vers 1853, envoie aujourd’hui son aumône à la mère-patrie pour venir au secours des ouvriers sans ouvrage du Lancashire. Les mines nouvellement découvertes de la Nouvelle--