Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/799

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sième fois dans un bassin que l’homme secoue jusqu’au moment où le sable est tout à fait chassé, et alors vous voyez apparaître au fond la poudre et les parcelles d’or. Le cradle appartient à l’enfance des découvertes : il a été remplacé en Australie par d’autres machines plus ingénieuses pour laver et séparer l’or ; mais ces dernières n’ont guère pénétré dans la Colombie anglaise, où l’on continue de bercer avec les bras le métal bien-aimé.

La vie des gold diggers et des gold washers (bêcheurs et laveurs d’or) est une vie d’aventures et de privations austères. Il leur faut demeurer durant plusieurs mois de suite sous une tente, rester exposés durant le jour à toutes les intempéries de l’air, coucher la nuit sur un fit dur ou même sur la terre nue. Si l’un d’eux, plus délicat, veut une hutte de bois, il est obligé de la construire de ses propres mains. Plus tard, il est vrai, comme en Australie, de solides bâtimens de pierre et de brique, de vastes ateliers, des villes éclairées au gaz remplacent sur les mêmes lieux ces maisons de toile et de planches ; mais il ne faut chercher rien de pareil dans les mines à l’état d’enfance, comme celles de British-Columbia. Les mineurs de cette dernière colonie paient au gouvernement un très faible tribut pour acheter l’autorisation de creuser la terre et d’y chercher de l’or, seulement une livre sterling par an, et encore ce tribut est-il facultatif. Très peu néanmoins s’y dérobent, parce que la somme payée assure au mineur la protection de la loi et lui garantit la propriété de son claim, quartier de terrain qu’il s’est choisi et sur lequel il travaille. Ces claims se revendent ensuite à d’autres entrepreneurs pour des sommes quelquefois considérables. Il y a là des hommes de tous les pays et de toutes les couleurs, des nègres, des Indiens, des Chinois, des Anglais, des Américains, des aventuriers des divers états de l’Europe ; mais ils vivent entre eux sur un pied d’égalité. Tous les mineurs s’appellent boys (garçons) ; leur identité se perd sous un sobriquet tel que Dick, Tom, Harry. Le costume des mineurs est le plus souvent une chemise de flanelle rouge ou bleue, un pantalon de velours de coton et des bottes fortes[1]. La plupart d’entre eux bêchent ou piochent durant la journée, et le soir pratiquent le lavage de l’or chez eux, c’est-à-dire dans leur tente. L’eau est un auxiliaire indispensable des travaux, non-seulement pour laver l’or, mais aussi, et en plus grande abondance, pour détremper le limon aurifère, connu sous le nom de pay dirt (boue qui doit payer son homme). Or c’est ici surtout qu’éclatent le courage et l’esprit entreprenant des mineurs. Cette eau est ame-

  1. Des maisons de commerce connues à Londres sous le nom d’emigrants outfitters ont réalisé depuis ces dix dernières années des fortunes considérables et ouvert dans la ville des magasins qui sont des palais. On vend là les habits, les outils, les tentes et tout ce qui est nécessaire aux chercheurs d’or.