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lever du jour de rejoindre le colonel Fotzer. Quant à Cyrille et aux autres jeunes gens qui, avec Christodoulo, surveillaient la batterie située en aval de la ville, ils restèrent longtemps immobiles, sans avoir l’occasion d’exécuter les ordres du pope, car l’attaque qu’on attendait sur ce point ne put avoir lieu par suite d’incidens que nous allons raconter.

Le tcherbitdji qui était allé jeter l’alarme au camp des bachi-bozouks avait continué sa route, et une heure plus loin avait rencontré deux bataillons de troupes ottomanes régulières, établis au village de Torlak, en avant de Rasgrad. C’était une sorte d’avant-garde que le général qui occupait Rasgrad, ce pacha anglais dont nous avons parlé au début de notre récit, avait détaché pour surveiller les bachi-bozouks. Ces deux bataillons étaient sous les ordres d’Eumer-Bey, jeune officier courageux et habile, et qui, étant fils d’un des grands dignitaires de la Porte, avait lui-même rang de général dans l’armée. Dès que le tcherbadji lui eut rendu compte de ce qui se passait, Eumer résolut de marcher sur Routchouk avec ses deux bataillons; mais au lieu de prendre la route qu’avaient suivie les bachi-bozouks, et qui conduit aux portes opposées au Danube, il se dirigea en droite ligne sur le fleuve, afin d’entrer dans la ville par une porte latérale. À cette heure de la nuit, le colonel Fotzer, après avoir fait partir, comme on l’a vu, le détachement destiné à l’attaque de la première batterie, et avoir attendu un certain temps pour lui laisser prendre l’avance nécessaire, marchait lui-même lentement vers la seconde batterie, qu’il devait attaquer en personne. Les Turcs d’Eumer-Bey se heurtèrent contre les vedettes du colonel Fotzer. On échangea quelques coups de fusil, puis chacun resta en place. La nuit était fort noire. Les deux commandans, également surpris, distinguaient à peine des masses obscures de soldats dont ils ne pouvaient estimer le nombre. Fotzer, se voyant découvert, renonça à l’assaut qu’il devait tenter. Il recula un peu pour s’appuyer au Danube et se rapprocher de ses barques; mais il résolut d’attendre le point du jour pour juger des forces de l’ennemi et connaître le résultat de l’assaut livré par son lieutenant. Eumer, de son côté, décida qu’il n’attaquerait pas avant le crépuscule. Bientôt on entendit le canon de la batterie qui, de l’autre côté de la ville, se défendait contre les Russes. Eumer laissa ses troupes dans l’endroit où elles étaient, et, recommandant aux chefs des deux bataillons de ne pas attaquer avant son retour, il courut avec quelques officiers vers Routchouk.

Il se rendit d’abord au konak de Saïd-Pacha. Le gouverneur, le defterdar[1] et plusieurs fonctionnaires, réunis en conseil, accrou-

  1. Sorte de gouverneur adjoint chargé des finances.