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pureté de cette enfant est sacrée pour moi. Nous sommes ainsi, nous autres, dans notre vieille Bretagne. L’innocence d’une jeune fille nous inspire un respect religieux.

— A merveille, reprit Aurélie; mais j’avais toujours pensé que si vous avez reçu cette grande estocade au milieu de la poitrine, c’est que vous aviez fait quelque chose pour la mériter.

— Que ceux qui sont sans faiblesse me jettent la première pierre, ceux qui n’ont jamais eu à comprimer un premier mouvement, ceux qui n’ont jamais eu à faire un pas en arrière!

— Avouez, mon cher ami, que vous aviez un peu perdu de vue les sentimens de votre vieille Bretagne, et que le mois que vous venez de passer au fit vous a bien aidé à redevenir sage. Eh bien! mais épousez-la. Pourquoi ne pas l’épouser?

— Je vais partir avec vous pour Constantinople.

— J’attendrai la noce si vous voulez, et j’attacherai dans les cheveux de Kyriaki les bandelettes nuptiales. D’abord cette enfant m’intéresse, et puis je lui dois bien cela, car enfin c’est elle qui m’aura délivrée de vos hommages et qui nous aura tirés, vous et moi, d’une position difficile. Elle fera bonne figure à Paris, à votre bras. On dit les Parisiens très avides de nouveautés et très friands de ces sortes d’épousées. Ce sera une jolie petite comtesse à produire dans une loge de l’Opéra.

— Non, madame, non! je ne vous donnerai point ce spectacle. Certainement, s’il fallait choisir, j’aimerais mille fois mieux être son mari que son amant. Son mari! En le devenant, je commettrais sans doute une faute, et j’aurais peut-être à me repentir plus tard de m’être engagé dans une aventure bizarre; mais être son amant! ce serait un crime dont la pensée me révolte et qui empoisonnerait ma vie. Je ne serai pas plus l’un que l’autre. Voilà les réflexions que j’ai faites pendant cette maladie qui m’a, comme vous dites, aidé à redevenir sage.

— Et vous avez résolu...

— De partir, je vous l’ai dit.

— Voilà qui va bien pour vous; mais elle, que deviendra-t-elle quand vous vous serez éloigné?

— Elle épousera Cyrille, que la Panagia tout exprès a guéri de sa blessure. Ce garçon aime Kyriaki avec fureur, si j’en juge par les coups de couteau qu’il donne.

— Vous dites cela ainsi, d’un ton dégagé, parce que vous savez que cela ne sera pas. Vous comptez bien au contraire qu’après votre départ la petite séchera de désespoir, et qu’elle passera le reste de ses jours à adorer votre souvenir.

— Quelle plaisanterie!