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colonial de l’Angleterre était tout au moins compromis. Aucun scrupule de ce genre ne retenait M. Rameau, et lui seul a tracé un tableau complet de ces événemens, si imparfaitement connus avant ses recherches. À ce seul point de vue, son livre mériterait une attention sérieuse, que justifieraient amplement d’ailleurs le talent de l’écrivain et la remarquable élévation de ses doctrines économiques. Mais ce n’est pas tout, et la plus précieuse récompense de l’auteur a dû être l’effet produit par ses écrits sur les populations lointaines auxquelles ils s’adressaient, effet que j’ai pu constater moi-même. C’était la première fois qu’elles voyaient leurs chances futures discutées en France avec cette bienveillante sympathie qui est le meilleur des encouragemens, car les seules marques d’intérêt que jusqu’alors elles eussent reçues de leur ancienne patrie se réduisaient au souvenir banal et superficiel de quelques touristes désœuvrés. M. Rameau au contraire semble s’identifier avec la race qu’il étudie : il la relève dans le passé par l’héroïque récit de ses malheurs, il la rassure dans l’avenir par les sages conseils qu’il lui donne. Aussi le succès de son livre a-t-il été grand et immédiat de l’autre côté de l’Océan, au Canada surtout, où la classe lettrée et intelligente constitue un des principaux élémens de la population française.

Le poète américain Longfellow a fait de la catastrophe acadienne le sujet d’un récit simple et touchant. Évangéline est la fille d’un riche fermier de Grand-Prée, elle vient d’être fiancée à celui qu’elle aime, Gabriel, le fils du forgeron Basile; mais, avant que le mariage ait pu être célébré, éclate la tempête de proscription, et les malheureux habitans du village se voient dispersés sur la vaste étendue du continent américain. Les fiancés ont été séparés, et le long pèlerinage de l’exil commence pour Évangéline. Elle va de ville en ville, de désert en désert, recherchant les débris de sa race, demandant partout les traces de l’époux auquel elle a donné sa foi. On la retrouve enfin, sous le voile d’une sœur de charité, dans un hôpital où le sort vient d’amener Gabriel expirant. Ce thème, que nous ne faisons qu’indiquer[1], a fourni au poète américain l’une de ses plus heureuses inspirations. Il me semblait à Chezzetcook relire l’une après l’autre les premières pages d’Evangéline. La nature qui m’entourait avait bien le charme voilé, l’attrait mélancolique et pénétrant des campagnes décrites par Longfellow; les femmes avaient le même costume, la même quenouille chargée de chanvre; le village et les maisons étaient tels qu’il les a dépeints. La joie de ces pauvres gens était grande de recevoir des visiteurs qu’ils considéraient comme

  1. Voyez sur Évangéline la Revue du 1er avril 1849.