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62 mètres, et commande l’un des panoramas les plus étendus et les plus beaux que l’on puisse contempler dans tout le département de la Charente-Inférieure. Les autres monticules, situés plus au sud et recevant en plein les vents du sud-ouest, qui les écrêtent et reportent leurs sables dans la direction de la grande dune, ont seulement de 30 à 50 mètres d’élévation moyenne. Aux yeux d’un touriste habitué à l’escalade des Alpes et des Pyrénées, ce sont là, nous l’avouons, de bien humbles sommets; pourtant ces taupinières de sable prennent l’aspect de véritables montagnes, et leurs chaînes, disposées parallèlement à la rive comme une rangée d’énormes vagues, semblent constituer tout un système orographique. Leurs talus hardis, leurs vives arêtes taillées comme au ciseau, la forme rhythmique de leurs cimes, l’harmonie générale de leurs contours, sans cesse modifiés au gré du vent, leur donnent une étonnante apparence de grandeur. La ligne de base parfaitement unie qu’offre le rivage de la mer aide également à l’illusion par le contraste, et contribue à rehausser ces blanches collines. Aussi les habitans des localités voisines ont-ils tranché la question en imposant fièrement aux dunes d’Arvert le titre de montagnes. Malgré la mobilité de leurs sables, la plupart de ces monticules changeans ont un nom : la Briquette, le Banquin, la Balise.

Un ancien proverbe bien connu dans la Saintonge dit que « les montagnes marchent en Arvert. » Quelques-unes se sont arrêtées, fixées par des semis, et sont maintenant transformées en simples tertres boisés. C’est ainsi qu’une compagnie de La Rochelle a récemment prévenu le déplacement des dunes du nord en faisant ensemencer un domaine considérable près du pertuis de Maumusson; de même la forêt d’Arvert, recouvrant les rangées de dunes qui s’élèvent au sud de la péninsule, parallèlement au rivage du golfe de Cordouan, protégeait pendant le moyen âge une grande étendue de pays et n’a cessé de la protéger partiellement, bien que la hache du bûcheron ait éclairci ses rangs, jadis pressés. Partout ailleurs les dunes d’Arvert marchent encore, et le moindre vent y soulève des nuées de sable pareilles aux fumées qui tourbillonnent au-dessus des volcans. Nombreux sont les désastres occasionnés par la marche des dunes depuis les temps historiques. L’ancienne ville d’Anchoisne, qui peut-être était le port des Saintongeois ou Portus Santonum cité par Ptolémée[1], s’est constamment déplacée devant les sables comme l’écume chassée par le flot, et ne s’est défi-

  1. Livre II, chap. 7. Il paraît que le port des Saintongeois était autrefois visité par des navigateurs grecs qui venaient, dit-on, y chercher des résines, de l’absinthe, de la criste-marine. On a découvert près de l’embouchure de la Seudre un grand nombre de monnaies grecques. Enfin les immortelles qui tapissent les dunes, et dont la senteur parfume l’atmosphère, portent encore le nom grec d’aioné.