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au loin dans les eaux : ce banc couvert d’algues est l’ancienne base de la falaise, que les flots ont sapée à la hauteur moyenne du niveau des basses mers; ses contours sont les mêmes que ceux des rivages disparus depuis longtemps, et permettent à l’observateur de mesurer d’un coup d’œil l’étendue des conquêtes de l’estuaire. De tous les promontoires de la Basse-Gironde, le plus remarquable est celui de Méchers, qui se dresse directement en face du Verdon. Non moins belles, mais plus faciles à visiter que ces parois perpendiculaires des bords du Mississipi et du Missouri, auxquelles l’éloignement prête un si grand intérêt de curiosité, les falaises de Méchers se composent d’assises inégalement friables et d’une épaisseur à peu près uniforme. Les intempéries ont fouillé ces strates en y perçant de distance en distance des rangées d’arcades en plein cintre qui font ressembler les rochers aux façades de palais cyclopéens. Un peu au-dessus du niveau du fleuve, les vagues de la Gironde, aidées probablement par les eaux de source qui filtrent du plateau supérieur, ont creusé des grottes profondes, véritables portes qui contribuent à l’aspect architectural de l’ensemble. De l’une de ces ouvertures jaillit un petit ruisseau bondissant en cascatelles au milieu des pierres.

A l’érosion de la rive orientale correspond l’envasement de toutes les parties basses de la rive opposée. De vastes marécages, qui jadis étaient le lit du fleuve et que les eaux ont graduellement abandonnés, pénètrent au loin dans l’intérieur de la péninsule du Bas-Médoc : tels sont les polders de la Petite-Flandre desséchés par les Hollandais dans la première moitié du XVIIe siècle; tels sont aussi les terrains humides de Saint-Vivien et les marais salans de Verdon, exploités encore à une époque récente. Toutes ces anciennes plages, coupées de fossés et de canaux, sont tellement basses que de loin on peut les confondre avec la surface des eaux. Le point culminant de tout le pays, qui était encore une île de la Gironde il y a deux siècles à peine, s’élève à la modeste altitude de 12 mètres au-dessus du niveau de la mer, et cependant, si l’on en croit l’opinion générale, qui semble assez plausible, les habitans du Médoc auraient orgueilleusement consacré cette île à Jupiter (Jovis), que rappelle encore le nom de Jau donné à l’ancienne île et au village qu’elle porte. Plus à l’ouest, sur le bord de l’Atlantique, s’étend un rideau de petites dunes boisées, dont les cimes ne sont pas même assez hautes pour cacher complètement à la vue les navires engagés dans la Passe-de-Grave. Pendant la nuit, quand du haut des rochers de Saint-George on dirige ses regards vers la péninsule du Bas-Médoc, on voit souvent par-dessus la chaîne des dunes le fanal d’une embarcation glissant au bord de l’horizon comme une étoile solitaire.

C’est immédiatement au nord des marais salans de Verdon que se