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construire au fond de la concavité du rivage des Huttes une espèce de pyramide formée d’énormes blocs en béton pesant chacun plusieurs milliers de kilogrammes. Ce musoir aux degrés gigantesques résista solidement aux flots qui l’assaillirent; mais il restait seul chargé de défendre la plage, et l’Océan menaçait de le tourner pour continuer au-delà son œuvre d’érosion. En 1853, après douze années de luttes incessantes soutenues contre les flots, les ingénieurs constataient tristement que tous leurs travaux étaient anéantis, à l’exception du musoir, d’une partie de l’ancien perré, longue de 310 mètres, et de sept épis situés sur la plage qui se prolonge au sud vers les bains du Vieux-Soulac. Encore ces épis étaient-ils plus ou moins entamés, et deux d’entre eux avaient perdu leur plateau terminal. La plage de l’anse des Huttes avait reculé de 25 mètres, et, bizarres témoins des envahissemens de la mer, deux puits qu’on avait creusés et maçonnés dans le sable des dunes, près des rochers de Saint-Nicolas, étaient déchaussés jusqu’à la base, et se dressaient comme des tours au bord des flots. La victoire avait été chèrement disputée par l’homme; mais c’était la mer qui l’avait obtenue. Les millions dormaient au fond des eaux.

L’insuccès des premières tentatives étant désormais constaté d’une manière éclatante, il fallait nécessairement appliquer à l’anse des Huttes un troisième système de travaux protecteurs; mais, pour opérer en certitude de cause, on entreprit une nouvelle série d’observations très minutieuses sur les allures des eaux marines et les moindres changemens du rivage. Au moyen de sondages réguliers, on étudia l’effet des vents et des tempêtes sur les contours sous-marins des bas-fonds; on planta des rangées de pieux de distance en distance sur le sable de la plage afin de pouvoir dresser chaque mois le profil de la côte avec ses ensablemens et ses reliefs : avant de recommencer la lutte avec la mer, on essaya de faire intime connaissance avec elle. Enfin il fut résolu qu’au lieu de construire un simple perré, comme on l’avait fait déjà, on élèverait contre les flots un véritable brise-mer, prenant son origine à l’extrémité méridionale de la baie pour aller rejoindre au nord les inébranlables rochers de Saint-Nicolas. Parallèlement à l’ancien perré, mais plus avant sur le bord de la mer, l’ingénieur fit enfoncer dans le sable une double rangée de pieux, et, les réunissant les uns aux autres par des poutres transversales, forma ainsi un énorme cadre qu’il fit remplir de fascines entrelacées. Puis, en avant de ce rempart improvisé, on lança des cubes de béton du poids de plusieurs tonnes pour former une espèce de talus en pente douce dont la longueur est égale à dix fois la hauteur du brise-lames. En outre il fut décidé que les clayonnages, menacés par le travail incessant des tarets, seraient peu à peu remplacés par de puissantes digues maçonnées.