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chers de la base de profondes cavernes : il faut alors descendre à marée basse pour boucher les excavations, en fortifier les abords, en interdire l’approche à l’ennemi.

Irritée de l’obstacle infranchissable que lui oppose le puissant brise-lames de la pointe, la mer s’est acharnée des deux côtés à la fois sur la langue de sable qui s’étend en arrière de la jetée. Sur le rivage maritime, elle a précisément emporté l’épi qui protégeait l’extrémité de la pointe, en laissant, comme par ironie, les pilotis indicateurs. Le danger était pressant; cependant on n’a pas encore eu le temps de reconstruire l’épi, parce que de l’autre côté de la pointe, sur la plage girondine, la mer était encore plus menaçante. Prenant le rivage à revers, les vagues agrandissaient sans relâche la petite anse du Fort, et chaque tempête emportait des segmens considérables de la côte. De 1844 en 1854, lorsque déjà la plage maritime était à peu près fixée, celle qui fait face à la Gironde recula de plus de 500 mètres, c’est-à-dire de 50 mètres par an. Encore quelques années, et la péninsule amincie était complètement percée, le phare et les autres édifices étaient emportés, et la jetée, séparée du continent, n’était plus qu’un écueil battu des flots. Il fallait à tout prix fermer le passage à la mer en construisant à l’anse du Fort un brise-lames semblable à celui qu’on avait déjà construit à l’anse des Huttes. Ce brise-lames, rivage de pierre destiné à remplacer l’ancienne plage de sable mobile, n’est pas encore complètement achevé; heureusement les vagues ont en cet endroit beaucoup moins de force que dans le golfe de Cordouan, et les deux tronçons de rempart qu’on leur oppose sont restés immobiles, bien qu’ils soient formés de blocs d’une assez faible dimension. Lorsque la digue de l’anse du Fort sera enfin terminée et reliera la Pointe-de-Grave à la Pointe-de-la-Chambrette, où l’eau du fleuve, loin d’envahir la côte, ne cesse de l’agrandir par ses dépôts de vase, on n’aura plus qu’à reconstruire les épis emportés, à réparer ceux qui se dégradent, à maintenir les brise-lames en bon état d’entretien. A la période de lutte, qui dure depuis plus de vingt années entre la mer et l’homme, succédera la période de simple surveillance[1]. Alors les habitans du Bas-Médoc, sans crainte de se voir un jour dépossédés par la mer, pourront endiguer hardiment et conquérir à l’agriculture cette vaste plage de vase qui s’étend du Richard au Verdon, et qui comprend plus de 3,000 hectares d’une terre excellente, élevée en moyenne de plus d’un mètre au-dessus des basses mers et par conséquent très facile à dessécher au moyen de fossés d’écoulement. Peut-être même qu’après avoir arrêté par une ceinture de pierre cette péninsule de Grave qui voyageait pour ainsi dire sur les flots,

  1. Les travaux de la péninsule de Grave ont coûté depuis 1839 plus de 6,430,000 fr.