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manqué pour féconder son sujet, soit enfin qu’il faille se décider à regarder l’invention comme le côté faible de son talent. Mme Stowe effectivement n’a montré dans aucun des ouvrages qu’elle a publiés jusqu’ici la puissance de combiner les ressorts d’une intrigue et de faire concourir à un effet dramatique tout un groupe de personnages et toute une série d’événemens. La Case de l’Oncle Tom et Dred ne sont que deux suites de tableaux épisodiques, à peine rattachés les uns aux autres, à ce point même qu’il n’est aucun de ces tableaux qui ne puisse être retranché sans que le lecteur s’aperçoive de cette suppression. Des discussions théologiques, quatre ou cinq portraits supérieurement tracés, et la délicate analyse d’un amour de jeune fille, voilà toute la Fiancée du Ministre. Les événemens n’abondent pas davantage dans la Perle de l’île d’Orr; supprimez de la seconde partie un long et inutile épisode, l’histoire sous forme de lettres de la jeunesse du pasteur, et il ne restera qu’un bien petit nombre de scènes, dont quelques-unes n’ont même pas le mérite de la nouveauté. L’émotion que causent les apprêts de la noce de Mara Lincoln et le babil des commères qui travaillent à broder la courte-pointe traditionnelle sont autant de réminiscences de la Fiancée du Ministre.

Pour peu qu’on ait en mémoire les personnages si nombreux et si divers de la Case de l’Oncle Tom et des autres ouvrages du même auteur, on ne saurait refuser à Mme Stowe l’art des portraits et la fécondité. Mme Stowe réussit merveilleusement à dessiner une figure, à la marquer de traits distincts et à la rendre vivante. Aussi une des raisons principales qui nous portent à soupçonner quelque précipitation et quelque fatigue dans la seconde partie de la Perle de l’île d’Orr, c’est que nous n’y retrouvons guère que des contre-épreuves de figures déjà connues. Zéphaniah Pennel, ce chrétien soumis et ferme, dont la résignation est au niveau de toutes les infortunes, et qui trouve dans chaque épreuve une nouvelle consolation et un nouveau sujet de remercier Dieu, n’est-ce pas l’oncle Tom un peu débarbouillé et revêtu d’une casaque de marin? Les amoureux chez Mme Stowe sont toujours de mauvais sujets, du moins l’auteur se plaît à nous les donner pour tels; ailleurs on serait assurément moins rigoureux à leur égard. Le jeune marin de la Fiancée du Ministre n’a guère en effet d’autre tort que de n’être pas ferré sur la doctrine de la prédestination, et de ne point aimer à aller au sermon, hormis pour y conduire ou en ramener sa jolie cousine. Mosès Pennel est un peu plus pervers : il boit du punch, il jure quand la présence de ses parens ou de Mara ne le retient pas, et il déclare la Bible une lecture ennuyeuse. Si énormes que soient ces défauts, si scandalisées qu’en soient les matrones de l’île