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marier à Sally Kittridge, se débarrasse de Mara, grâce à un mal trop fréquent sous l’âpre et rude climat du Maine, la consomption. Mara meurt avant l’époque fixée pour son union avec Mosès, et celui-ci arrive à peine à temps pour assister à son agonie. Ici éclate toute la différence entre les mœurs puritaines et les mœurs de l’Europe, et nous sommes tenté de crier encore à l’invraisemblance. C’est une opinion généralement accréditée de ce côté de l’Océan que les progrès de la consomption et de la phthisie sont assez lents, et au début assez imperceptibles pour que ceux qui sont atteints de ces maladies inexorables soient les derniers à avoir conscience du danger qu’ils courent. On s’applaudit d’ordinaire qu’il en soit ainsi, et chacun s’efforce d’entretenir chez un malade une illusion qui soutient son courage et ôte toute amertume à ses derniers jours. On affecte devant lui et on lui prêche l’espérance que l’on n’a plus soi-même. Il n’en va pas ainsi, paraît-il, dans la Nouvelle-Angleterre. C’est Mara qui devine la première qu’elle est vouée à une mort prochaine. Personne ne s’en doute encore autour d’elle : les deux Pennel ne savent pas lire dans les traits de leur fille, pas plus qu’ils n’ont su lire dans son cœur : seule, la tante Roxy, éclairée par l’habitude de voir et de soigner des malades, a conçu quelque inquiétude. Quand Mara est bien convaincue que sa fin est proche, quand elle a pris son parti de se soumettre à l’arrêt de Dieu, et qu’elle sent ses forces physiques la trahir, elle prie la tante Roxy d’instruire ses vieux parens de son état, afin qu’elle-même n’ait plus à s’imposer, pour leur cacher son mal, des efforts qui l’épuisent. La tante Roxy ne cherche nullement à réveiller l’espérance chez Mara; elle pleure avec elle sur sa fin prochaine, et elle se charge, comme d’une chose toute simple, de faire aux deux vieillards une révélation qui doit leur briser le cœur. Elle s’acquitte immédiatement de cette tâche :


« — Vous pouvez, dit en terminant miss Roxy, aller à Portland consulter le docteur Wilson; mais, dans mon opinion, le mal est sans remède.

«Le silence qui suivit ne fut rompu que par le bruit d’un pas léger qui descendait l’escalier. Mara entra; elle se dirigea vers mistress Pennel, lui entoura le cou de ses bras et la baisa. Se retournant alors, elle se blottit dans les bras de son vieux grand’père, comme elle avait fait souvent autrefois, aux jours de son enfance, et elle posa la main sur son épaule. Pendant quelques instans, on n’entendit d’autre bruit que celui de sanglots étouffés; mais Mara ne pleura point : elle demeura les yeux calmes, brillans et comme attachés sur une vision céleste.

« — Ce n’est point chose si triste, dit-elle enfin de sa voix douce, que je m’en aille là-bas. Vous y allez aussi, vous et grand’maman; nous y allons tous, et nous serons pour toujours avec le Seigneur. Pensez-y, pensez-y bien.