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coup plus hautes. Dans un chapitre spécial, elle entreprend de prouver que le dénoûment de son livre est le plus heureux qu’elle pût trouver, que le comble de la félicité pour Mara, c’est de mourir prématurément et non d’épouser celui qu’elle aime, et que la résignation de la jeune fille n’est que de la sagesse et du bon sens. Quand nous souhaitons de voir grandir nos enfans, de les bien marier et de les voir prospérer, nos vœux portent à faux : il vaudrait mieux pour eux, et surtout pour nous, qu’ils mourussent à la fleur de l’âge. C’est donc avec raison que les parens et les amis de Mara se résignent à la perdre, et finissent même par s’applaudir de sa mort. L’auteur n’hésite pas à appuyer cette thèse sur un examen de la vie du Christ et de la vie de la Vierge. Nous n’oserions le suivre sur ce terrain : aussi ne prendrons-nous de son argumentation que la partie qu’il soit possible de discuter sans blesser aucune convenance.


« Nous avons voulu peindre dans cette histoire une catégorie d’existences modelées sur celle du Christ, obscures et sans prétention comme la sienne, paraissant également aboutir au chagrin et à la défaite, mais qui ont pourtant ce mérite et cette valeur, que les saints bien-aimés qui vivent de cette vie sont ceux dont la mission se rapproche le plus de la mission du Christ. Ils sont faits non pas afin d’avoir une carrière et une histoire à eux, mais afin d’être pour autrui le pain de vie.

« Dans chacune de nos demeures, il y a ou il y a eu quelqu’un de ces saints. Si nous considérons leur vie et leur mort avec les yeux de la chair incroyante, nous ne verrons que l’avortement le plus lamentable et le plus inutile. Les yeux de la foi nous montreraient au contraire que cette vie et cette mort ont été le pain de vie pour ceux qui sont demeurés ici-bas. Les plus sublimes de tous et les moins développés sont les saints innocens qui viennent dans nos demeures nous sourire du sourire des anges, qui dorment sur notre sein, qui nous gagnent par la douceur de leurs petites caresses, et qui passent comme l’agneau du sacrifice avant même d’avoir appris la langue des hommes. Non, elle n’est pas inutile, la vie silencieuse de ces agneaux du Christ; plus d’un cœur attaché à la terre s’est éveillé et a voulu les suivre, quand le pasteur les a conduits aux pâturages d’en haut. Ainsi encore la fille qui meurt avant l’âge, et dont les noces ne seront sonnées qu’au ciel; ainsi le fils qui n’a point parcouru de carrière ni rempli de devoir viril, si ce n’est parmi les anges; ainsi ces affligés pleins de patience, dont le seul lot sur terre semble avoir été de souffrir, dont la vie s’est écoulée goutte à goutte sur un fit de douleur : tous ont une existence semblable à celle du Christ. Ils n’ont pas été faits pour eux-mêmes : ils sont pour nous le pain de vie. »


Tout ceci revient à dire que la maladie, la souffrance, les infirmités, la mort prématurée, sont autant de bénédictions de Dieu. Cette glorification de la nature souffrante n’est pas nouvelle. Le moyen âge