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vous est interdit de condamner le monachisme, qui n’est que la vie contemplative érigée en système et réglementée. Il y a d’ailleurs plus de dangers qu’on ne croit à vouloir transporter l’homme trop au-dessus de ce monde, pour lequel il a été fait, et où il a une tâche à remplir. « Qui fait l’ange, dit Pascal, fait la bête. » Comme nous ne saurions, quoi que nous fassions, anéantir notre corps, il faut que ses besoins aient leur tour, et le réveil de la chair, pour être retardé et combattu, n’en est souvent que plus irrésistible. Voilà pourquoi l’ascétisme dégénère et se corrompt si vite : on commence par offrir à Dieu ses propres privations, on ne tarde pas à lui offrir celles d’autrui.

Le livre de Mme Stowe, on le voit, soulève plusieurs questions graves. N’étant ni théologien, ni philosophe, nous nous sommes contenté de les indiquer à mesure qu’elles se sont présentées : c’est à de plus compétens qu’il appartient de les résoudre. Au point de vue littéraire, nous n’avons point caché ce qui manque à cet ouvrage, et peut-être au talent de l’auteur : la fécondité et la variété des détails, l’art de mener une intrigue et celui de préparer et d’enchaîner les événemens. Mme Stowe excelle dans l’analyse et le développement des sentimens; il est impossible d’avoir une touche plus délicate, plus fine et plus juste : plusieurs passages de cette seconde partie, la peinture des anxiétés et de la jalousie de Mara, le récit des manèges de Sally Kittridge, peuvent compter parmi les meilleures pages que l’auteur ait écrites. L’écueil de ce talent tout psychologique est la monotonie : il lui faudra varier les personnages et les situations sous peine de tomber fatalement dans les redites. Déjà, dans ce dernier ouvrage, Mme Stowe n’a pas tout à fait échappé au danger que nous signalons; elle fera bien d’aviser pour son prochain roman. Elle a délaissé avec grande raison les nègres, ses premiers cliens; qu’elle se défie désormais des jeunes filles poitrinaires et sentimentales; qu’elle ne craigne pas de nous peindre des héroïnes mieux portantes et, s’il se peut, moins parfaites qu’Éva Saint-Clair et Mara Lincoln.


CUCHEVAL-CLARIGNY.