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plongé dans le désespoir ; Mégès le bras brisé, Lycomède couvert de blessures, Euryale la tête ensanglantée. À côté, les Troyennes destinées à la servitude se livrent également à leur douleur : Andromaque la première, qui s’est voilée la tête et allaite son enfant ; Polyxène, dont la chevelure est nouée à la façon des jeunes vierges et qui sera sacrifiée sur le tombeau d’Achille ; Climène, Créuse, Xénodice, les plus choyées dans la nombreuse famille de Priam. Dinomène, Pisis, Métioché et d’autres Troyennes, assises sur le même lit, sont groupées de la manière la plus charmante. Là Polygnote n’a point résisté au désir de multiplier, avec leurs costumes orientaux, les femmes qu’il excellait à peindre.

Habile à marquer les contrastes et à saisir l’occasion d’immortaliser les traditions attiques, il n’a point oublié AEthra, la mère de Thésée et l’aïeule de Démophon ; chef des Athéniens qui avaient pris part au siège. Esclave des Troyens depuis de longues années, AEthra s’est échappée à la faveur du désordre et réfugiée dans le camp des Grecs. La tête entièrement rasée, vêtue pauvrement, elle a peine à se faire reconnaître par son petit-fils, et invoque le témoignage d’Hélène. Enfin le sage Nestor, chargé de veiller sur les femmes, fragile butin, se tient appuyé sur sa lance ; spectateur de tant d’infortunes, il réfléchit sur les vicissitudes humaines, tandis que son cheval en liberté semble prêt à se rouler sur le sable. Les flots azurés qui bordent cette partie de la composition viennent baigner mollement les galets aux couleurs variées.

Loin du rivage paraissent les murs d’ilion, qu’Épéus est occupé à démolir de fond en comble : derrière les créneaux s’élève la tête du fameux cheval de bois, machine fatale aux Troyens, dont Épéus était l’inventeur. Les rois grecs sont assemblés autour de l’autel de Minerve ; ils reçoivent le serment d’Ajax, qui jure qu’il n’a point violé Cassandre, la prêtresse inspirée. Cassandre est affaissée vers le sol : elle tient encore la statue de la déesse à laquelle elle s’attachait suppliante quand Ajax l’a entraînée. Ulysse, revêtu de sa cuirasse, accuse Ajax, qu’il espère faire lapider comme impie. Agamemnon et Ménélas écoutent gravement ; sur le bouclier de Ménélas est peint un serpent. On reconnaît auprès d’eux le fils de Pirithoüs, le front ceint d’une bandelette, Acamas, dont le casque est surmonté d’une aigrette. Enfin Ajax étend la main sur l’autel sans quitter son large bouclier.

Pyrrhus, fils d’Achille, n’est point parmi les rois. Dans son ardeur à venger son père, il ne peut se rassasier de carnage. Seul des Grecs, il répand encore du sang quand tous les guerriers ont déposé leurs armes ; il vient d’égorger Elasos, qu’on voit expirer ; il frappe Astinoüs, déjà tombé sur un genou. Un petit enfant, effrayé par ce spectacle, se presse contre un autel. Un eunuque, le crâne rasé,