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ville leurs nouveaux amis, envers qui du reste ils ont depuis lors gardé la paix jurée.

Ce fut en cette occasion solennelle que j’acceptai (malheureusement pour moi) l’invitation d’un des orang-kayas, ou chefs dayaks, présens à la fête. Ce personnage, appelé Mita, faisait peser sur trois villages,, situés tous les trois aux flancs du mont Sirambau, une domination abhorrée. Non content de pratiquer en grand le système fiscal de ses collègues, qui consiste à vendre de force à leurs vassaux, moyennant un prix arbitrairement fixé, le sel, les étoffés, les outils dont ils ont un absolu besoin, celui-ci les forçait à lui construire des fermes, et il en possédait trois, — une par village, — obtenues gratuitement par ce procédé sommaire. Sa popularité souffrait quelque peu de cet état de choses, et il comptait pour la rétablir sur les résultats de notre visite. On verra plus loin quel plan naïvement machiavélique il roulait sous son bonnet d’écorce.

En arrivant à Sirambau, le plus considérable des trois villages, nous le trouvâmes encombré par les gens venus de Peninjau et de Bombok, et sur les sentiers étroits de la montagne dévalaient en longs chapelets hommes, femmes, enfans des tribus voisines. Un vieil arbre, offrant à chaque mètre de sa hauteur une entaille profonde, formait l’escalier par lequel nous montâmes dans le palais aérien de l’orang-kaya. Une fois là, nous cessions de nous appartenir, et on nous en fit bien apercevoir : un essaim de vieilles femmes, s’abattant sur nous, nous enleva presque immédiatement nos souliers et nos bas, et se mit à nous laver les pieds, avec des frictions à nous arracher la peau. L’eau servant à cette ablution forcée était soigneusement recueillie dans de grands vases, et j’appris depuis qu’on l’emploie comme un engrais des plus énergiques. On nous conduisit ensuite sur une espèce de plate-forme légèrement en saillie, et nous fûmes invités à nous asseoir sur des nattes qui par exception n’étaient point, tant s’en faut, d’une irréprochable propreté. La foule nous entourait, et, comme à des divinités favorables, nous présentait pêle-mêle une multitude de requêtes diverses. Les plus fréquentes avaient pour objet une espèce de bénédiction qui consiste à répandre du riz autour de soi, à verser de l’eau sur la tête des petits enfans, parfois même sur celle des hommes faits ou des femmes. Ce fut à grand’peine que nous obtînmes un répit pour dîner.

Et quel dîner, grands dieux ! Que ces Dayaks sont d’étranges gastronomes ! À leur goût, les œufs, les poissons, certains fruits même, semblent toujours trop frais. Dépourvus en apparence de toute sensibilité olfactive, ils ont des conserves dont l’infection passe vraiment toute croyance, et vous servent parfois une tranche de