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qu’elle n’avait rien de très séduisant. Sa jeunesse oisive lui avait légué, en la quittant, un embonpoint excessif ; sa quasi-nudité, — car elle n’avait pour tout vêtement que deux mouchoirs de batiste anglaise, non détachés l’un de l’autre, lesquels voilaient insuffisamment ses énormes hanches, et sur sa poitrine, que je ne me permettrai pas de décrire, un fichu de drap noir, sujet à des écarts beaucoup trop fréquens, — sa quasi-nudité, dis-je, n’ajoutait rien à l’agrément de notre conversation. Ses cheveux, encore très noirs, pendaient librement sur ses épaules, et un simple filet d’écorce blanche les empêchait de tomber sur les yeux. Bref, de tout son costume, rien n’annonçait la fille d’un des plus nobles Kayans et la femme opulente d’un de leurs principaux orang-kayas, si ce n’est un quadruple chapelet de graines variées qui s’enroulait autour de sa taille puissante. Le premier rang était jaune, les deux autres de couleurs variées, et le quatrième, — le plus précieux, — formé par plusieurs centaines de ces baies noires qui sont pour les princesses de Bornéo ce que les diamans sont pour les « étoiles » de Londres ou de Paris. Chacune de ces graines semble incrustée de quatre autres plus petites et de couleurs variées (vert, jaune, bleu et gris), mais cette incrustation n’existe que pour l’œil : en réalité, ce sont de simples taches, artificielles ou naturelles, je ne saurais le dire. Si-Obong, à qui j’avais demandé, pour l’examiner, cette merveilleuse ceinture, m’assura l’avoir obtenue en échange de onze livres pesant des nids d’oiseaux les plus estimés ; elle lui coûtait donc, au prix marchand de Singapour, un peu plus de 800 francs, somme relativement énorme.

Derrière Si-Obong se tenaient assises et muettes deux jeunes suivantes, infiniment plus jolies que leur maîtresse. Elles avaient l’œil à ses moindres gestes, et lui apportaient, à peine désignés, tous les objets qu’elle voulait me montrer, des paniers remplis de vêtemens, des meubles de toute sorte, une vieille lampe de fabrique anglaise, un chaudron de cuivre, six verres à pied, quatre bouteilles d’eau-de-vie, mais surtout le siège de rotin, préparé par la femme de Tamawan pour un enfant dont elle attendait la naissance. Elle avait dépensé un travail considérable à décorer de graines de couleur cette espèce d’escarpolette où les mères logent l’enfant qu’elles emportent ainsi sur leur dos.

Tamawan survint pendant la conférence, qui se prolongeait au-delà de mes désirs. Il se plaignait d’un affaiblissement chronique, pour lequel il me demandait des remèdes. Je lui signalai quelques toniques inoffensifs, lui recommandant, pour ses rhumatismes, dont il souffrait aussi beaucoup, de rester chez lui, de boire moins d’eau-de-vie, et de se moins adonner à des excès de viande porcine. Je