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BACTIS.

Le nom de ma patrie ne t’apprendrait rien. Pour vous autres Hellènes, tous les peuples étrangers à vos lois et à vos mœurs sont des barbares ; mais sache que nous avons nos coutumes aussi belles que les vôtres, nos familles, nos préceptes et nos sages plus respectés que les vôtres ne le sont chez vous ! Mais que t’importe ce que nous sommes ?

MYRTO.

Je veux savoir qui tu es : Si tu n’étais d’un sang illustre, tu n’aurais pas osé me parler comme tu viens de le faire.

BACTIS, entraîné.

Eh bien !… j’étais le fils d’un des principaux chefs de nos tribus. Le frère de ma mère, versé dans les sciences, initié dans ses voyages aux grands mystères des diverses nations, se plaisait à former mon esprit, et voulait m’emmener en Grèce pour me faire connaître les arts de votre civilisation. Béni par mes parens, je quittai nos steppes fleuris. Ma mère ne pleura point devant moi ; mais son dernier regard déchira mon âme comme un dernier adieu. Hélas ! la reverrai-je ? En traversant les monts de la Thrace, nous fûmes assaillis par des brigands. Je défendis les jours de mon oncle jusqu’à ce que, sanglant et brisé, je fusse couché sur son cadavre. Les ravisseurs infâmes m’ont amené à Athènes, où ton père m’a acheté. Voilà toute mon histoire : y trouves-tu des prodiges, et mérite-t-elle ta curiosité ?

MYRTO.

Bactis, tu es grand, et l’infortune te grandit encore ! Délivre-toi, et emmène-moi dans ton pays ; fuyons ensemble…

BACTIS, éperdu.

Tu dis ?… O jeune fille, si c’est un piège, tu es la plus funeste des créatures ! J’ai ouï raconter la fable des sirènes, et l’on m’a appris à me méfier des grâces décevantes des femmes de la Grèce…

MYRTO.

O chaste Diane, tu l’entends ! J’ai avoué ma défaite ! J’ai dit des mots qu’une jeune fille ne dit pas sans rougir, et il ne me croit pas !

BACTIS.

Non ! Tu sais bien que je ne puis enlever la fille d’un homme qui m’a traité avec douceur et bonté. Tu ne peux pas, toi, vouloir l’abandonner au désespoir… Tu as une tendre mère…

MYRTO.

Tu me reproches ma passion ! C’est toi qui me fais rougir !… Eh bien !… malheur à toi ! Tu peux te vouer aux dieux infernaux, car ma vengeance te fera une vie pire que la mort ! Hors d’ici, profane ! Dès ce soir, tu tourneras la roue du moulin, attelé avec l’âne et le mulet, tu ne mangeras que des fèves gâtées, et tu seras vendu aux gens de la montagne, qui te condamneront au dur travail des mines !

BACTIS, la regardant avec douleur.

Je le savais bien que tu ne m’aimais pas !… (Il sort)