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pour ces évocations continuelles et intempestives de l’antiquité dans les affaires qu’il s’agissait de saisir au vif[1].

La leçon donnée au palais par Racine, Boileau et Chapelle était assez dure pour qu’on l’écoutât ; mais ce goût de l’archaïsme, ce « goût du mauvais goût, » comme on l’a si bien dit, était difficile à extirper. Au XVIIIe siècle, il a fait place à des citations empruntées avec discernement aux lois romaines, mais alors pour les besoins réels de la cause, la France étant régie pour une grande partie par le droit écrit de Rome. On a dit de M. Dupin qu’il procédait de l’école parlementaire, et n’avait pas assez renoncé lui-même à l’antiquité. Il est certain que ses plaidoiries offrent de fréquentes citations, et que les auteurs romains lui viennent souvent en aide. Cependant, qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est plus là précisément la méthode dogmatique de l’avocat parlementaire ; la citation est devenue, sous la main de l’avocat moderne, un moyen de réveiller l’attention et de piquer la curiosité : ou c’est une loi romaine qui va droit au but dans une question nouvelle, ou c’est la pensée d’un écrivain qui lui permet de donner à la sienne un relief original et une application topique. Faut-il dire à la cour de cassation, devant les chambres réunies, que le président de cette assemblée s’est trompé dans ses écrits sur les reprises de la femme, il trouvera deux jurisconsultes romains en conflit, et montrera l’un, très savant sans doute, battu et convaincu d’erreur par l’autre, et prenant là-dessus fort lestement son parti. Le trait est lancé, chacun l’a senti. Le président aura l’esprit bien mal fait, s’il se montre plus entêté et plus

  1. Il venait précisément de publier ses meilleures plaidoiries (1660), et ses illustres et joyeux camarades les avaient sous la main. Que durent-ils penser, que pensa Boileau en lisant le pompeux exorde de l’affaire de la duchesse d’Aiguillon contre le duc d’Orléans : « Plutarque fait foi qu’après la mort de Cléomènes, roi de Sparte, ses ennemis voulant encore triompher de son fantôme et de son ombre, on vit paraître un serpent qui couvrait de ses replis la tête de ce prince mort, comme s’il eût voulu défendre le siège et la source de ces conseils qui avaient produit la félicité de ses peuples ! Et si nous en croyons les poètes, il en sortit un autre du tombeau d’Anchise, qui menaçait ceux qui auraient dessein de violer l’asile de sa sépulture. On attaque M. le cardinal de Richelieu dans le sein même de la mort ; on le trouve pour le blesser jusque dans les ténèbres, etc. » L’avocat se proposait, il est vrai, dans cette affaire, de défendre la mémoire de Richelieu ; mais s’il s’agit ne plaider pour Jean Gautheu, qui repousse la paternité en alléguant son impuissance, contre Étiennette Pipelier, sa femme, le ton n’a pas changé, et l’antiquité joue son rôle habituel au débat. On cite l’Écriture, puis Hérodote, Horace, Platon, saint Augustin, Tertullien, etc. En vérité, avec les plaidoiries de Pousset de Montauban, le soleil et la lune, les Babyloniens et les Macédoniens de Petit-Jean n’étaient-ils pas tout trouvés ? Était-il besoin d’aller chercher les plaidoyers de Lemaistre, retiré depuis trente ans du barreau et vivant silencieux à Port-Royal, à cette date de 1668 où la comédie fut donnée ? Appliquée à Pousset de Montauban et à ses rivaux, la verte critique des Plaideurs frappait juste ; dirigée contre Lemaistre, elle eût dépassé le but.