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une lacune que la lecture des plaidoiries d’un autre avocat ou plutôt l’étude d’une autre école doit rendre plus sensible encore.

Sans vouloir dogmatiser en cette matière, on doit pouvoir dire qu’il n’est pas toujours sans inconvénient pour l’audience, sans danger pour une cause, de s’attacher au droit d’une manière trop exclusive et de chercher toutes ses forces dans la loi. C’est là d’ailleurs un fait sur lequel M. Dupin a cru devoir appeler l’attention en révélant une des particularités de sa carrière judiciaire. Fidèle à ses études de prédilection, lorsqu’il aborda l’audience, il soignait avant tout la partie juridique de sa cause ; il reconnut bientôt que la science du droit n’est pas tout dans les affaires. « Dans mes premières causes, dit-il, et avant d’avoir acquis cette expérience que donnent seules la pratique et une observation réfléchie sur les mérites et les fautes d’autrui et sur ses propres aventures, j’expliquais mon fait en peu de mots, d’une manière sèche, aride et fort peu travaillée. J’arrivais ensuite au droit, et, fraîchement sorti des écoles, les citations des lois romaines, d’auteurs et d’arrêts ne manquaient pas. Les juges en paraissaient peu touchés. Les vieux avocats au contraire épluchaient leur fait, cherchant à prévenir les juges en faveur de leurs cliens, combattaient le droit avec l’équité et soignaient le chapitre des considérations. Je m’aperçus de l’effet que cela produisait sur l’esprit des magistrats. Je modifiai donc ma méthode : je travaillai mieux mon point de fait ; je supprimai une grande partie de ce qui tenait à l’érudition, et m’attachai à donner à ma discussion une marche plus serrée, plus rapide et plus vive. » Malgré cette remarque, M. Dupin donna-t-il toujours à la partie des considérations tirées des faits et des circonstances de la cause, comme on dit au palais, le relief, l’importance et toute l’ampleur qu’elle pouvait comporter ? Dans ses meilleures plaidoiries, on sent que la langue du droit était celle que l’avocat parlait le plus à son aise, que la dialectique était son domaine ; pour les faits proprement dits, il semble que sa parole n’ait plus la même flexibilité, la même souplesse ; la phrase est rude, peu ductile, et l’expression souvent trop forte, comme les couleurs mal fondues ; les idées sont justes, mais se produisent parfois trop laconiquement et sans art ; on voit que là n’ont point porté l’étude et les soins familiers de l’orateur. Quant à l’émotion, il ne faut pas la lui demander ; il ne cherchait pas à la communiquer, il ne l’avait pas. « Il était sec ; jamais sa voix ne s’est émue, jamais ses yeux ne se sont mouillés de larmes, jamais son âme ne s’est troublée. Les moins exigeans ont pu regretter souvent plus d’expansion, des accens plus humains et plus tendres. » Ce n’est pas nous qui parlons ainsi ; c’est M. Pinard, et l’on peut se lier à de tels portraits, car ils ont été faits à l’audience.

Ce fut de ce côté précisément que M. Chaix-d’Est-Ange apporta