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Maximilien, bien qu’on nous déclare expressément plus tard qu’elle était incapable de comprendre jusqu’où les choses pouvaient aller et de s’indigner en pleine connaissance de cause. Le premier soir, lorsque, vers la fin du troisième acte, la trop savante jeune fille a dit enfin, en parlant des amours platoniques de sa belle-mère : « Et que pourrait-elle davantage ? » un soupir de soulagement a paru s’échapper de toutes les poitrines ; mais il était trop tard, comme on dit en temps de révolution : l’impression pénible était produite, et le spectateur s’était senti mal à l’aise trop longtemps. La baronne Pfeffers est peut-être le mieux réussi de tous ces personnages, si l’on ne cherche pas en elle la fausse dévote que l’art le plus accompli aurait eu peine à dépeindre, et si l’on consent à la prendre simplement pour le portrait de l’intrigante, facile à trouver dans toutes les opinions et dans tous les camps. Sa promptitude à reconnaître dans M. d’Outreville le mari qu’il lui faut, sa ferme volonté de l’épouser, et surtout son adroit manège pour faire retirer le discours à Maréchal sont d’heureux traits de caractère et approchent de la bonne comédie. La scène du bracelet est spirituelle dans sa hardiesse ; mais elle a un terrible défaut, c’est de rappeler indirectement Tartufe, et il suffit de cette grande ombre involontairement évoquée pour réduire aux proportions les plus mesquines la scène, l’action, les personnages, tout ce qui pouvait un instant nous intéresser ou nous émouvoir. Oublions l’amour vrai, tout grossier qu’il est, du redoutable hypocrite, oublions cette main frémissante, hasardée avec tremblement sous la dentelle légère et sur l’étoffe moelleuse, oublions ce murmure sensuel et dévot qui veut à la fois troubler et rassurer l’honnête Elmire, ces lèvres enflammées sur lesquelles se pressent et se confondent les supplications de la convoitise terrestre et les images mystiques de l’amour divin, oublions tout cela, si nous voulons ne point perdre absolument de vue la froide Pfeffers, qui s’évertue à faire glisser un jeune sot dans le mariage en lui montrant son bras nu et en l’effleurant de ses doigts.

Giboyer est le véritable héros de la pièce ; mais quelques situations dramatiques et l’art touchant du comédien qui le fait vivre ne suffisent point pour cacher ce qu’il y a d’inadmissible dans les contradictions d’un tel caractère. On sent à chaque instant que cet homme n’existe pas, qu’il ne peut exister. Quand on est capable d’écrire des discours qui convertissent les gens en une matinée et des livres qui les déconvertissent en une après-midi, quand on a des convictions politiques, de l’éloquence et presque du génie, on ne « lèche la boue » sur le chemin de personne, pas même sur le chemin d’un fils ; on n’attend pas que ce fils vous donne le conseil d’aller vivre avec lui dans un grenier pour lui apprendre par votre exemple à vivre en honnête homme : on se donne ce conseil-là