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CARION.

Alors ce bel oracle ne sait ce qu’il dit ?

CHRÉMYLE.

Patience ! Celui que je n’attends pas viendra et m’expliquera que je l’attendais sans le savoir.

CARION.

Admirable explication, mon maître ! et comme les oracles sont toujours accomplis par ceux qui y croient, vous voilà attendant ce quelqu’un que vous n’attendiez pas du tout !

CHRÉMYLE.

Te permettrais-tu de plaisanter ton maître ? Tu mériterais des coups, sais-tu ?

CARION.

Non ! je ne plaisante que les dieux.

CHRÉMYLE.

À la bonne heure ! Cela n’est pas contraire aux lois. Pourvu qu’on n’attaque pas sérieusement la religion, on peut tout dire.

CARION.

D’où l’on pourrait conclure que le dieu du rire est réputé chez les Athéniens le premier des dieux ? Mais pensez à ce que je vous ai dit, mon maître. Faites vos prières au dieu Trésor.

CHRÉMYLE.

Je t’écouterais bien volontiers ; mais je ne le connais pas. Est-ce quelque nouveau dieu ?

CARION.

C’est un dieu de la Perse.

CHRÉMYLE.

Qui t’en a parlé ?

CARION.

Personne. Je l’ai vu en rêve.

CHRÉMYLE.

Les rêves ne mentent pas. Comment était-il fait, ce dieu étranger ?

CARION.

Il était tout or des pieds à la tête, et il avait la forme d’une belle cruche.

CHRÉMYLE.

C’est ainsi, m’a-t-on dit, qu’on représente la déesse Isis ?

CARION.

Isis ? Je ne connais pas bien celle-là ; mais mon dieu, à moi, n’était pas une cruche vide. Une source intarissable de vin délicieux bouillonnait dans son large ventre, et s’épanchait par sa gueule, qui riait comme une bouche de Silène, et dans ce vin nageaient des perles, des boudins, des rubis, des grillades et de l’or liquide qui coulait comme un fleuve, sans jamais s’épuiser ni se ralentir.

CHRÉMYLE.

Carion, tu as fait là un beau rêve ! Allons un peu sur le chemin qui mène