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manquaient du nécessaire pour vivre, c’était précisément dans ces localités que la taxe des pauvres était le moins élevée. En effet, dans les comtés agricoles du sud de l’Angleterre, le taux de la taxe était plus considérable que dans le comté théâtre de la détresse. L’attaque était directe, il fallait y répondre. Les apparences donnaient raison à M. Kingsley. Bientôt cependant on lui prouva qu’il avait confondu les relevés des boards faits depuis trois mois avec les relevés du jour ; il ne fut plus question de ses griefs. Il fut également reconnu que le plus grand nombre des manufacturiers, au lieu d’apporter leur part au fonds commun, préféraient secourir directement leurs ouvriers, soit en les occupant, soit en leur maintenant une portion de leur salaire. Ainsi s’expliquait l’absence des noms les plus honorés de l’industrie sur la liste des souscripteurs. Ces reproches étaient donc injustes. S’il y a eu quelques traits d’indifférence ou d’égoïsme parmi les chefs d’industrie, ils ont été amplement rachetés par le dévouement et la libéralité du plus grand nombre. Plusieurs manufacturiers ont continué à travailler même avec perte, afin d’occuper leurs ouvriers ; d’autres, forcés de s’arrêter, ont régulièrement payé les salaires trois jours de la semaine, ce qui est considéré comme suffisant pour l’entretien de l’ouvrier. Presque tous passent leur temps dans les comités de secours ou au board of guardians, dont ils sont membres, organisent des écoles, des asiles, font des distributions de vivres et de vêtemens. L’esprit libéral de l’Angleterre est venu d’ailleurs en aide aux chefs d’industrie comme aux ouvriers dans les débats que soulève la disette du coton, et que l’absence de publicité aurait pu transformer en dangereux conflits. On a vu se succéder des meetings où chacun faisait ce libre usage de la parole si précieux quand de pareilles épreuves viennent surprendre un grand pays. Dans un de ces meetings, auquel j’assistais en novembre dernier, les manufacturiers de Manchester s’étaient réunis sous prétexte de discuter les mesures propres à combattre la crise ; mais ils ne faisaient en réalité que répondre, devant de nombreux auditeurs, aux attaques dirigées contre eux. Les ouvriers, de leur côté, avaient aussi leurs meetings ; ils y faisaient surtout entendre de vives plaintes contre la taxe des pauvres et le mode de distribution des secours. Des affiches annonçaient ces réunions, et de sages observations y furent souvent présentées. Le président du board of guardians de Manchester ne restait pas sourd à ces manifestations significatives : il invitait, par la voix des journaux, les plaignons à leur envoyer des députations qui exposeraient leurs griefs. Les délégués de la population ouvrière se rendaient à son appel, et, grâce aux conférences ainsi provoquées, l’entente ne tardait pas à se rétablir entre les chefs d’industrie et les ouvriers sur les questions relatives à l’assistance.