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avaient signalé les efforts de la Prusse dans sa politique extérieure et intérieure pendant cette époque agitée, et opposant à ce triste tableau les temps où un Frédéric II avait su arriver à des résultats bien différens dans des circonstances tout autrement difficiles et avec des ressources incomparablement moindres ; M. de Vineke ne put trouver qu’un mot pour caractériser une telle situation. « Quelle misère ! » s’était écrié alors le véhément orateur, et ce mot d’une trivialité puissante, venant conclure un exorde où éclataient les sentimens élevés unis aux grands souvenirs, devait marquer pour longtemps aux yeux de la nation, et d’un trait ineffaçable, la période d’abaissement et de décadence où s’engageait décidément un règne qui avait commencé sous des auspices si brillans.

Tout en se résignant pour le moment à la situation qui lui avait été faite par des fautes si complexes, et sans penser à provoquer follement le destin et à prendre une revanche immédiate, n’y avait-il pas cependant pour ce règne un moyen de regagner le terrain perdu, de se relever à ses propres yeux et aux yeux de l’Allemagne tout entière, d’ouvrir un noble champ d’activité à l’esprit public si cruellement déçu ? Il est d’autant plus permis de se poser une question pareille, que vers la même époque un petit royaume au-delà des Alpes, qui avait passé par des péripéties analogues, donnait au monde le frappant exemple et la leçon salutaire d’une monarchie demandant courageusement aux arts de la liberté et de la paix le prix que lui avait refusé l’art de la guerre. Le rôle qu’avait joué le Piémont en 1848 au milieu de l’Italie rappelait à plus d’un égard celui qu’avait assumé la Prusse à la même époque au milieu de l’Allemagne : les aspirations, les ambitions, les succès et les revers avaient eu dans les deux pays un caractère incontestable de similitude, et s’il y avait une différence à établir dans le bilan des deux situations, elle était, nul n’en saurait douter, tout à l’avantage de Berlin. Il n’y avait pas de comparaison, au moins quant à l’effet matériel, entre la bataille de Bronzell et celle de Novare ; les échecs de la Prusse avaient été purement diplomatiques, ils n’avaient mis aucunement son existence en péril, ni même entamé son territoire. En face de l’humiliante nécessité où s’était trouvée l’Autriche d’invoquer le secours de la Russie contre les Hongrois, les hommes d’état de Berlin aimaient même à rappeler que la monarchie de Frédéric le Grand n’avait eu besoin d’aucune protection du dehors pour traverser l’agitation de 1849. Encore en 1854, et en réponse à une insinuation menaçante de M. de Nesselrode sur les périls révolutionnaires que pourrait courir l’Allemagne, si elle s’aliénait l’amitié de l’empereur Nicolas par une attitude hostile dans les complications d’Orient, M. de Manteuffel ne se fit pas faute de faire remarquer,