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CARION.

Quand vous serez ivre, vous le délierez vous-même !

CHRÉMYLE.

Alors… écoutez. Je ne suis ni jaloux, ni avare, et je consens à voir devenir riches les gens de bien qui le méritent. Si Plutus n’était pas aveugle, il ne ferait pas tant d’injustices, et il connaîtrait ses vrais amis. Conduisons-le au temple d’Esculape, et demandons à ce dieu de rendre la vue à un confrère. Nous laisserons Plutus toute la nuit dans le temple avec les cérémonies d’usage, et nous l’irons chercher au point du jour. S’il voit clair, il connaîtra bien que nous sommes des gens sages, économes et justes. Il ne voudra plus retourner dans les villes, et le bonheur habitera chez nous comme au temps où nos pères relevaient leurs cheveux avec la cigale d’or. J’ai dît. (Bactis entre.)

MYRTO.

Et vous avez bien dit, mon père, il est peut-être autour de nous des gens vertueux (Regardant Bactis.) dans la peine, dans l’esclavage même…

CARION.

Moi par exemple !

MYRTO.

Plutus clairvoyant reconnaîtra les bons.

CHRÉMYLE.

Oui, oui, Plutus, debout ! Marchons au temple !

PLUTUS.

Mais je ne veux pas, moi !

CHRÉMYLE.

Vous ne voulez pas recouvrer la vue ?

PLUTUS.

J’aime autant rester comme je suis.

CARION.

Pourquoi, vieux fou ?

PLUTUS.

Parce que, depuis tant de siècles que je suis aveugle, je n’ai jamais rencontré d’honnêtes gens.

CARION.

Cela n’est pas étonnant. Nous autres, qui voyons clair, nous n’en rencontrons pas davantage !

CHRÉMYLE.

C’est assez discourir. Je ne veux pas renoncer à mon dessein. Marchez, Plutus, ou nous vous porterons.


SCÈNE VII.
LES MEMES, LA PAUVRETÉ. [Elle apparaît au seuil du bois sacré ; elle est vêtue proprement, à la manière des sibylles, bien drapée, couleurs sombres. C’est une grande femme, encore belle.)


LA PAUVRETÉ.

Où courez-vous, ô insensés ? Arrêtez ! arrêtez, vous dis-je !