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— De même on serait presque tenté de reconnaître une assez juste appréciation du cœur humain, une prévoyance sensée de l’avenir, et jusqu’à un soin par trop intelligent et bien entendu de son propre intérêt, dans un autre avis que l’héritier présomptif donna au roi vers 1844. Il lui déclarait alors franchement…qu’il le croyait peu propre à devenir un monarque constitutionnel, et ne lui prédisait d’un pareil essai que des mécomptes et des déboires ; il lui conseillait plutôt d’élaborer une charte, de la déposer aux archives, et de la léguer comme sa volonté suprême à son successeur, qui serait beaucoup plus apte à s’accommoder des exigences d’un pareil régime.

Si grande cependant qu’avait pu être un jour la répulsion du prince royal pour la cause du progrès, ses sentimens n’en subirent pas moins avec le temps une modification notable. Notre époque a vu des conversions beaucoup plus étranges et bien moins honorables, hélas ! et les malheureuses influences qui prévalaient de plus en plus à la cour de Potsdam étaient du reste bien faites pour détourner un esprit sensé et honnête d’un ordre d’idées si tristement représenté, si déplorablement exploité, et l’engager dans des voies nouvelles. M. de Bunsen lui-même n’avait-il pas compté d’abord parmi les piétistes ? n’avait-il pas longtemps passé pour l’inspirateur de Frédéric-Guillaume IV dans les affaires ecclésiastiques, pour le grand promoteur d’une espèce de high-church prussienne, — et n’avait-il pas fini cependant par prendre énergiquement la défense de la liberté religieuse contre M. Stahl, par se trouver en dernier lieu presque en communion d’idées et de sentimens avec M. Renan ? Des affections et des considérations de famille avaient contribué, elles aussi, à créer au prince de Prusse une situation à part. L’estime et la tendresse dont Frédéric-Guillaume IV entourait sa femme ne la consolaient pas toujours de la stérilité dont elle était frappée, et la vue d’une belle-sœur mère heureuse des enfans désignés pour la couronne, appelée elle-même probablement à occuper un jour le trône, amena des froissemens et des irritations que ressentait vivement l’épouse de l’héritier présomptif. La princesse Augusta n’était pas d’humeur à supporter certaines piqûres. Issue de cette maison de Weimar qui s’était toujours distinguée par son goût pour les arts et les plaisirs de la vie, elle eut de bonne heure des connaissances, des amitiés à elle, et une attitude assez différente du train ordinaire de la cour pour ressembler parfois à une divergence recherchée avec intention. Il est évidemment dans la destinée de toute opposition libérale de nos jours d’avoir sa phase « polonaise, » hélas ! passagère : la princesse de Prusse ne manqua pas non plus au programme ; mais les idées constitutionnelles et unitaires de l’Allemagne offrirent