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LA PAUVRETÉ.

Et où en trouverez-vous ?

CHRÉMYLE.

Vraiment ! nous en achèterons.

LA PAUVRETÉ.

Et qui voudra vous en vendre ?

CHRÉMYLE.

Bah ! ces marchands de Thessalie, qui vivent, comme l’on dit, du produit de la chair humaine.

BACTIS, tressaillant.

O dieux !

LA PAUVRETÉ, lui mettant la main sur l’épaule..

Oui, ces gens qui vont à la chasse aux hommes au péril de leur vie ! Voilà, Chrémyle, comment tu entends la justice ?

CARION.

Quand nos maîtres seront riches, les esclaves seront bien nourris, bien vêtus…

LA PAUVRETÉ.

Tu parles comme un homme dégradé par la servitude ; mais toi, Chrémyle, tu confonds toutes choses, et tu n’entends même pas tes intérêts. Ne vois-tu pas que Plutus n’est qu’une force inerte, un leurre, et que, pour l’instruire, les dieux te l’envoient couvert de haillons, infirme et repoussant ? Va ! ne demande pas qu’il recouvre la vue, car il ne saura pas s’en servir. Il ne peut rien par lui-même, et s’il visite un jour également tous les hommes, c’est moi et mon frère le Travail qui l’aurons forcé d’ouvrir ses mains avares ! En attendant, ne te fie pas aux promesses que tu lui arracherais et ne persuade pas aux autres de me chasser, ou bien compte que tu ne trouveras plus personne pour porter avec toi le fardeau de la vie. Tu seras forcé de bêcher ton champ tout seul et de mener une existence beaucoup plus dure que tu ne penses. Tu n’auras ni lits ni tapis pour te coucher : quel ouvrier voudra en faire, s’il compte que le salaire lui viendra en dormant ? Lorsque tu célébreras des noces dans ta maison, tu n’auras point d’essences pour parfumer tes convives, plus de ces étoffes artistement brochées et magnifiquement teintes dans la pourpre, dont se parent les jeunes époux, plus de vases précieux, honneur des familles, plus de vins généreux, plus d’autels de marbre, plus de temples, plus de jeux, plus de bains, plus rien de ce que vous estimez utile ou nécessaire. Allez, pauvres aveugles, ne vous mettez pas sous la conduite de ce malheureux qui est la proie des mauvaises passions et la cause de tous les crimes. Vous ne voyez pas ses hideux satellites rangés autour de lui ! Non, vos yeux abusés n’aperçoivent pas ce cortège sinistre : l’orgueil, l’envie, la sottise, la fureur, la mollesse, l’insolence, la folies le mensonge et la lâcheté ! Ces furies bercent son sommeil funeste, tandis qu’autour de mes veilles fécondes veillent avec moi trois compagnes fidèles : la probité, la sagesse et la persévérance.

CHRÉMYLE.

Il y a du vrai dans tout cela.